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MESSE EN OCCIDENT : SAINT CYPRIEN


prière qu’on porte à l’autel et qui nous obtient tout de lui. Si on ne peut pas dire avec certitude que cette description désigne l’eucharistie, on est obligé de reconnaître que cette interprétation demeure très probable. De même les mots de la lettre au païen Scapula que Tertullien n’avait pas besoin d’initier aux mystères chrétiens, et qui aurait mal compris une description plus précise du rite, semblent bien eux aussi désigner en termes voilés l’eucharistie. Sacrificamus… quomodo præcipit Deus, pura prece.

Est-ce à dire que le rite chrétien est une simple oraison sans offrande ? Nullement. On a pu le voir, Tertullien emploie très fréquemment le terme offrir. E y a prière dite sur le pain et le viii, et elle opère ce qu’a fait jadis celle du Christ : le corps et le sang du Seigneur, Adv. Marc., IV, xl, t. ii, col. 460-461. Voilà ce qui constitue le sanctum, la chose sainte, l’eucharistie, voilà donc ce qui est offert à Dieu. Cette oblation elle-même est une prière et Tertullien peut lui donner ce nom. Mais ce n’est pas une prière quelconque, c’est une prière d’offrande.

A plus forte raison est-il impossible d’admettre que pour lui le sacrifice chrétien soit une oblation de pain et de vin. Cette pensée est en contradiction formelle avec la conception de Tertullien. Il affirme avec la plus grande énergie que les fidèles n’offrent pas en sacrifice des créatures, animaux ou végétaux. Sans doute, comme l’a fait saint Justin, il parle des aumônes qui accompagnaient l’eucharistie. Les chrétiens ont une caisse, il le reconnaît. Chacun verse une modique offrande, une fois le mois ou lorsqu’il le veut, mais uniquement s’il le peut et si cela lui plaît. Les sommes recueillies servent à l’entretien et à la sépulture des indigents, à l’assistance des orphelins, des vieillards et des naufragés ; de même les détenus condamnés pour la foi sont soutenus par les secours des fidèles. Apol., 39, t. i, col. 470. Rien dans les affirmations de Tertullien sur ces offrandes des fidèles ne fait penser à un sacrifice d’aliments, tel que l’a imaginé Wetter.

Ce n’est pas davantage ce que nous apprend Tertullien des agapes qui permet de découvrir une telle oblation. Les chrétiens ont des repas communs, dit-il. Les pauvres en profitent. Rien de grossier, ni d’immodeste. Avant le repas, on prie Dieu, chacun mange selon sa faim, on boit comme il convient à la vertu, sans dépasser la juste mesure. Car on désire être en état d’adorer Dieu pendant la nuit. On s’entretient donc comme si on était en sa présence. Après qu’on s’est lavé les mains, les flambeaux sont allumés. Chacun est prié de chanter quelque cantique. Suit une prière et on se retire. Rien ici d’un sacrifice. C’est bien plutôt, comme le dit Tertullien, « une école de vertu », de pieuse fraternité. Pour le chrétien, l’oblation est un acte tout différent, c’est « l'œuvre sainte » par excellence. Ce n’est plus un simple banquet fraternel, mais le « repas du Seigneur ». Il y a, non un simple service matériel d'édification et de charité, mais un hommage rendu à Dieu. A une institution humaine même très louable, se substitue « l'œuvre divine ». Les offrandes des fidèles sont assurément un exercice de vertu très recommandable, mais on constate que bien au-dessus d’elles se place l’oblation du Seigneur Jésus.

Enfin, quiconque lit Tertullien avec attention constate que nulle part il ne présence la communion comme le sacrifice proprement dit. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 313-314.

5° Saint Cypricn (t en 258). — L'évêque de Carthage a composé la plus ancienne étude que nous possédions sur le rite eucharistique : c’est la lettre à Cécilius, son collègue de Bithra. Episi., lxiii. Souvent il en parle dans ses autres écrits. Avec toutes les données qu’il nous a laissées, on peut plus facile ment encore qu’avec les textes de Tertullien composer un petit traité du sacrifice chrétien.

Il n’y a pas lieu de montrer ici qu’aux yeux de saint Cyprien l’eucharistie contient le corps et le sang du Seigneur. Voir Struckmann, op. cit., p. 279 sq. ; Batiffol, op. cit.,-p. 227 sq. ; A. d’Alès, La théologie de saint Cyprien, Paris, 1922, p. 262 sq. ; art. Eucharistie, t. v, col. 1132. Nous n'étudierons ici que le rite eucharistique.

1. Éléments et forme consécraloire.

Il y a du pain et une coupe, Cyprien ne cesse de le dire. Dans le calice, on verse du vin mêlé d’eau : toute la longue épître lxiii est écrite pour le démontrer. P. L., t. iv, col. 373 sq., et mieux dans l'édit. Hartel, du Corpus de Vienne, t. m b, p. 701-717. (Nous citerons uniquement cette édition, où la numérotation des lettres n’est pas toujours conforme à celle de P. L.)

Un abus s'était introduit en certaines églises d’Afrique : on célébrait l’eucharistie, non avec du viii, mais avec de l’eau. L'évêque de Carthage oppose à cette coutume la tradition de l'Évangile et des Apôtres. Il faut renouveler ce que Jésus-Christ a fait. 1 et 2. Déjà l’Ancien Testament, par ses figures (Noé, Melchisédech) et par les enseignements des prophètes, 3-8, annonçait que Jésus se servirait de vin et non d’eau. Le récit de la cène montre comment ces oracles se sont réalisés. 9-10. Cyprien fait valoir ensuite les graves raisons qui motivent l’emploi de deux éléments. 11-15. Il conclut qu’on doit s’inspirer uniquement des leçons et de l’exemple du Christ, et il réfute les objections des aquariens. 16-19.

Comment ce pain et cette eau cessent-ils d'être des éléments profanes, revêtent-ils un caractère religieux, deviennent-ils le corps et le sang du Christ ? Par la prière du célébrant : Cyprien parle de cette oraison que lui-même prononce, précis noslræ ; il montre en elle la partie solennelle du rite, solemnibus adimplelis. De lapsis, 25, Hartel, t. m a, p. 255. Ailleurs encore, il se sert de termes semblables pour désigner ce qui donne à l’acte sa valeur, orationes et preces. Epist., lxv (ol. lxiv), 4, Hartel, t. m b, p. 725. Voir encore De unitate Ecclesise, 17, H., t. m a, p. 225.

D’autre part Cyprien cite les paroles par lesquelles le Christ a déclaré que le pain était son corps et le vin son sang. Epist., lxiii, 9, 10, H., t. m b, p. 708709. Et dans cette même lettre où il reproduit les mots employés par le Christ à la cène, il insiste avec une extrême énergie sur la nécessité pour le prêtre de faire ce que Jésus-Christ a fait. On peut donc penser que, comme l’attestent d’ailleurs les deux plus anciennes anaphores connues, celle d’Hippolyte et celle de Sérapion, la prière eucharistique de Cyprien redisait sur le pain et le vin les paroles de Jésus : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »

L'évêque de Carthage croit-il que l’Esprit-Saint donne à ces mots leur efficacité? On peut se le demander. Au cours d’une phrase dans laquelle il dénie à ceux qui ont perdu la foi le pouvoir de sanctifier l’oblation, il justifie son sentiment par cette pensée : Commenta urait-on cette puissance, là où n’est pas l’Esprit-Saint ? Mais, en cet endroit même, l’action de la troisième personne de la sainte Trinité n’est pas séparée de celle de la seconde : la stérilité de la prière des officiants qui ont abandonné la foi s’explique aussi parce que le Seigneur ne leur est pas favorable : Quando nec oblatio sanctificari illic possit ubi Spiritus Sanclus non sit, nec cuiquam Dominus per ejus orationes et preces prosil qui Dominum ipse violavit. Epist., lxv (ol. lxiv), 4, H., t. m b, p. 725.

2. Le rite eucharistique est un sacrifice proprement dit. — Cyprien ne cesse de l’affirmer en des termes qui ne laissent aucun doute sur sa pensée.

Pour lui, l’eucharistie est, au sens littéral et tech-