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MESSE EN OCCIDENT : TERTULLIEN


L’homme n’est pas sans retirer du profit de l’immolation, puisqu’on offre pour les vivants et pour les morts. L’oblation pour ces derniers prouve que le rite obtient le pardon des péchés ou des peines par lesquelles on les expie. Il y a lieu de supposer que l’eucharistie offerte pour les vivants jouit de pareille efficacité. Tertullien d’ailleurs laisse entendre d’un mot que le Christ est « immolé » de nouveau par celui qui participe aux saints mystères : les fruits de la passion sont donc appliqués aux assistants. De pud., 9, t. ii, col. 998 A. Peut-être tait-il allusion à une prière de la messe dans le texte bien connu de l’Apologeticus, 30, t. i, col. 443 : « Les mains élevées… nous prions pour tous les empereurs afin qu’ils aient une longue vie, un empire solide, une maison sûre, des amis forts, un sénat fidèle, un peuple loyal, un territoire paisible, et tout ce que peuvent souhaiter les hommes de César. » Si ce passage fait allusion à une prière de la messe, ici est démontré en termes formels ce que l’ensemble des données recueillies par ailleurs prouve suffisamment : les fidèles se servent du sacrifice pour recommander à Dieu tous les besoins, ceux des vivants et ceux des morts. Tertullien dit ailleurs que « notre prière portée à l’autel nous obtient tout de Dieu ». De orat., 28, t. i, col. 1195.

10. Célébration du sacrifice. — Le dimanche est le jour saint qui est sanctifié par la célébration de l’eucharistie, dominica solemnia. De fuga, 14, t. ii, col. 119 ; De anima, 9, t. ii, col. 659. Cet office peut avoir lieu aussi les jours de station, donc les mercredis et vendredis : Tertullien n’approuve pas qu'à ces dates on se prive de la communion pour ne pas rompre le jeûne. Au contraire, qu’on sanctifie la station par la participation aux saints mystères. Il est d’ailleurs fpcile d’associer la piété avec le jeûne. Pendant le sacrifice de la station, on recevra le corps du Christ, puis pour ne pas rompre le jeûne, on emporte chez soi l’eucharistie. Et on communie plus tard, à l’heure où il est permis de prendre de la nourriture. De orat., 19, 1. 1, col. 1183. On célèbre encore l’eucharistie à l’anniversaire de la mort des martyrs, De cor., 3, t. ii, col. 79, et du décès des chrétiens. De monog., 10, t. ii, col. 942 ; De exhort. cast., 2, t. ii, col. 926. Un texte de Tertullien autoriserait peut-être à penser qu’on disait la messe chaque jour, quotidie, De idol., 7, t. i, col. 669 ; Adv. Marc., IV, xxvi, t. ii, col. 425 ; en tout cas, c'était de bon matin, De corona, 3, t. ii, col. 79, antelucanis cœlibus, au point du jour. Batilïol, op. cit., p. 211.

Le lieu où se célèbre l’eucharistie est appelé par Tertullien < l'église » de Dieu. De spect., 25, t. i, col. 57. Il y a un autel, « l’autel de Dieu », près duquel on se tient. De orat., 19, t. i, col. 1182. On ne doit pas y monter avant d’avoir fait la paix avec ses frères. Ibid., 11, col. 1166. On y porte l’hostie spirituelle de la prière. Ibid., 28, col. 1194 ; De exhort. cast., 10, t. ii, col. 926 ; De jejunio, 16, t. ii, col. 976. Un texte parle aussi « des âmes des martyrs qui sous l’autel reposent dans la paix », attendant avec confiance la justice de Dieu, revêtues de robes blanches, jusqu'à ce que d’autres complètent leur glorieuse société. Scorpiace, 12, t. ii, col. 147. On a conclu que les corps des martyrs étaient placés sous l’autel. Il semble, plutôt que ce texte reproduise simplement la parole de l’Apocalypse : vi, 9-11.

Avec plus d'à propos, les historiens de la liturgie ont relevé chez Tertullien de nombreux renseignements de détail sur le rite eucharistique. F. Cabrol, art. Afrique du Diction, d’arch., t. i, col. 593 ; Fortescue, op. cit., p. 52 sq. A la messe des catéchumènes on trouve les leçons d’entrée, le chant des psaumes, l’homélie, les prières, De anima, 9, 1'. L., t. i, col. 660, « avec les frères y, De orat., 18, t. i, col. 1176-1178 ; elles se font debout, les mains élevées. Apol., 16, t. i,

col. 370-371 ; Ad nat., i, 13, 1. 1, col. 579 ; De spect., 25, t.i, col. 657 ; De orat., 11, 1. 1, col. 1169. Il y a un baiser de paix. Ibid., 18, col. 1176, 1177. On récite l’oraison dominicale. Ibid., 3-4, col. 1156-1157. Et il est difficile de ne pas voir dans le passage suivant un morceau plus ou moins littéralement reproduit de la prière eucharistique ou anaphore : « Il est vraiment juste que Dieu soit béni par tous les hommes en tout lieu et en tout temps, pour le souvenir qu’on doit toujours garder de ses bienfaits… A celui que la cour angélique ne cesse de proclamer : Saint, Saint, Saint ! C’est pourquoi, si nous méritons de nous associer aux anges, nous apprenons dès ici-bas cette divine parole [de louange] envers Dieu et l’office de la gloire à venir. » Ibid., 3, col. 1156-1157. Les fidèles reçoivent les deux espèces, le célébrant remet le corps du Christ dans la main des fidèles, le diacre présente la coupe. De cor., t. ii, col. 79-80.

11. Lex textes sur le sacrifice spirituel. — Il y a des passages où Tertullien affirme que les chrétiens n’ont ni victime ni sacrifice, et qu’ils n’offrent à Dieu que la prière.

Ces paroles ne contredisent en rien tous les témoignages cités plus haut. Par ces affirmations, l’apologiste fait savoir, que les chrétiens n’ont pas de rites pareils à ceux des païens et de l’Ancien Israël, pas d’objets matériels, de victimes animales, de sacrifices sanglants. Il suffit de lire les textes : « J’offre à Dieu une hostie opime et plus précieuse, celle qu’il m’a demandée ; c’est la prière venue d’un cœur pudique, d’une âme innocente et de l’Esprit-Saint, ce ne sont pas des grains d’encens.., les larmes d’un arbre d’Arabie.., ni deux gouttes de viii, ni le sang d’un bœuf… Vous offrez vos dons par des prêtres remplis de vices et vous regardez les entrailles des victimesau lieu de l'âme du sacrificateur. » Apol., 30, t. i, col. 444-445. — « Telle est l’hostie spirituelle qui a aboli les anciens sacrifices… Nous sommes les vrais adorateurs, les vrais prêtres, qui, priant en esprit, offrons en esprit la supplication propre à Dieu et qui lui est agréable, celle qu’il a cherchée, qu’il s’est choisie, une nouvelle forme de l’oraison du Nouveau Testament. » De oral., 28, t. i, col. 1194. Voir encore Ad Scapulam, 2, 1. 1, col. 700 : « Nous sacrifions comme Dieu l’a ordonné, par une prière pure. » De même, on lit, dans le De spect., xiii, t. i, col. 616 : « Parce que les démons et les morts sont une seule et même chose, nous nous abstenons de l’une et l’autre idolâtrie, et nous ne méprisons pas moins les temples que les monuments, nous ne connaissons pas d’autel, nous n’adorons pas de statue, nous ne sacrifions pas, nous ne faisons pas de festins funèbres et nous ne mangeons ni les mets des sacrifices, ni ceux des banquets en l’honneur des morts. »

Ces affirmations sont formelles. D’après Tertullien, Dieu a rejeté les sacrifices par lesquels on lui offre des créatures, par exemple ceux d’Israël ou ceux des païens. Pour le chrétien, il n’y a pas d’idoles ni d’autels, pas de culte des morts, pas de banquets sacrés. Les fidèles remplacent toutes ces formes impures et inefficaces de dévotion par la prière. Ce mot n’exclut nullement le sacrifice. Aujourd’hui encore, nous appelons la messe une prière, la principale de toutesDu prêtre qui la célèbre on dit qu’il est l’homme de la prière, et si on attribue à ce rite une efficacité, c’est parce qu’il est une prière. Tertullien avait le droit de tenir le même langage. D’ailleurs, dans les expressions citées plus haut, il en est qui semblent faire allusion à l’eucharistie. Il est affirmé par exemple) que les anciens sacrifices sont remplacés par une prière qui est le propre de Dieu, qui lui est agréable, qu’il a réclamée lui-même, qu’il a prévue pour lui et qu’elle est la nouvelle forme du Nouveau Testament,