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MESSE CHEZ LES LEXANDRINS : ORÎGÈNE


de Dieu ; Origène expose la même idée, mais rattache en termes exprès l’eflef à la cause, les fruits du sacrifice chrétien à ceux de la passion, fi trouve les mots de l’avenir : le rite est propitiatoire parce qu’il commémore le sang du Christ.

Ailleurs encore il a souligné l’union qui existe entre la passion et l’eucharistie. « Lorsque tu verras les peuples venir à la foi, les églises s'élever, les autels recevoir non plus le sang des animaux, mais le sang précieux du Christ… « In Jesu Nave, hom. ii, 1, t.xii, col. 835. Il n’y a pas à se servir de ce passage pour établir l’existence chez les chrétiens d’autels proprement dits semblables à ceux qu’ont les païens : il n’y en a pas, dit Origène à Celse, ils seraient pour nous des abominations. Contr. Cels., viii, 20, t. xi, col. 1518. Mais le contexte montre qu’ici le docteur alexandrin met en parallèle les victimes juives et la victime chrétienne, Jésus, l’oblation de l’une et l’oblation de l’autre. Il ne pense pas Leulement à l’immolation sanglante de la croix, mais au rite qui la commémore, à ce qui se passera, quand les païens auront la joi.

Une troisième fois d’ailleurs cette valeur que le rite eucharistique tient de son rapport avec la passion est affirmée par Origène : il a parlé du rite propitiatoire par le sang des animaux qui existait chez les Juifs, et il ajoute : « Mais toi qui es venu au Christ, pontife vrai, lequel par son sang t’a rendu Dieu propice et t’a réconcilié avec le Père, ne t’arrête pas au sang de la chair, mais rends-toi compte plutôt de ce qu’est le sang du Verbe et entends-le lui-même te dire : « Ce « sang est le mien qui sera répandu pour vous en vue « de la rémission des péchés. » Celui qui a été initié aux mystères connaît la chair et le sang du Seigneur. » In Levit., hom. ix, 10, t.xii, col. 523. Il serait difficile de dire plus clairement que le rite chrétien remplace les sacrifices propitiatoires d’fsraël, en commémorant et en faisant passer en nous le sang du Verbe, du Pontife éternel, jadis versé sur la croix et aujourd’hui offert à Dieu, comme l'était autrefois celui des victimes Iévitiques.

Ainsi l’originalité de la conception d’Origène vient précisément, on le voit, de cette pensée que la cène rappelle la croix. C’est donc bien à tort que Wetter, op. cit., t. ii, p. 96, a cru pouvoir découvrir en Origène le prétendu sacrifice alimentaire des premiers chrétiens. Le docteur alexandrin ne connaît qu’une seule oblation : celle du pain sanctifié par la prière et l’action de grâces, devenu ainsi un corps saint et sanctifiant. On ne saurait faire d’Origène le partisan d’une conception qui n’a jamais été celle des chrétiens-, et qui aurait été pour eux un scandale, celle de l’existence d’un sacrifice du pain et du vin. Comme Irénée, Origène parle d’une olïrande de prémices, mais celles-ci ne sont présentées qu’après avoir été sanctifiées, qu’après être devenues le corps et le sang du Christ. Plus qu' Irénée même, il établit que le rite eucharistique est en rapport intime avec celui de la croix, avec l’immolation physique du Sauveur.

Cette constatation vaut la peine d'être soulignée. On sait que, d’après Lielzmann, il y aurait eu deux types primitifs d’eucharistie : l’un d’eux, représenté par Yanaphore de Sérapion, serait propre à l’Egypte, où Paul n’a pas créé d'Églises, s’opposerait à celui des chrétientés visitées par l’Apôtre, que Vanaphore d’Hippolyte nous conserverait. Or, affirme Lietzmann, dans le rite égyptien primitif, il n’y avait pas de mention de la mort du Seigneur et l’auteur n’hésite pas, pour prouver sa thèse, à voir dans la commémoraison de la passion que contient aujourd’hui l’anaphore de Sérapion une interpolation. Op. cit., p. 178-180 ; 190-196 ; 238 ; 249 sq. On peut constater que cette audacieuse chirurgie n’est nulle ment justifiée par la tradition égyptienne. Ce qui caractérise au contraire la conception eucharistique d’Origène, ce qu’on ne trouve chez aucun autre écrivain ancien aussi fortement affirmé, c’est la relation entre la passion et le rite chrétien.

Il est un second trait qui donne au témoignage d’Origène son originalité. Plus que personne il insiste sur la sainteté du l’eucharistie. Voir Struckmann, op. cit., p. 146-151. Batifîol, op. cit., p. 263-269, a souligné cinq passages très importants où, dans les termes les plus clairs, le docteur alexandrin rappelle les dispositions exigées du communiant, les motive par l'Écriture et des arguments de raison, menace des pires châtiments les fidèles qui ne discerneraient pas le corps du Seigneur. Ces textes sont surtout précieux pour démontrer la présence réelle : il n’y a donc pas à les examiner ici. Mais ils confirment ce que nous savons déjà : l’eucharistie, la communion et le rite sont pour Origène la chose sainte par excellence, rà ôtyia. Pour dire que le pain est offert en sacrifice, Origène dit qu’il est sanctifié. Pour faire savoir ce qu’il devient grâce à cette opération, il affirme que c’est un corps saint. Enfin pour montrer quels sont ses fruits, il le présente comme sanctifiant. Les anciens Pères, même Irénée, avaient insisté surtout sur la vie éternelle. Par là même ils disent tout, car, si le corps du Christ fait de nous des immortels, il divinise notre chair, notre nature. Origène met l’accent sur la sainteté.

Il exige donc une grande pureté morale de quiconque approche de l’eucharistie. Le fidèle reçoit dans ses mains le corps du Seigneur, il le porte avec vénération, avec toute sorte de précaution, pour ne pas en laisser tomber la plus petite parcelle, pour que rien de consacré ne se perde. Si pareil malheur arrivait par négligence, « on se tiendrait à bon droit pour coupable ». In Exod., hom. xiii, 3, t.xii, col. 391. Ce n’est pas seulement la communion faite par un pécheur qui est une faute, c’est aussi l’offrande par lui du sacrifice : « Celui-là est inconsidérément à l’intérieur du sanctuaire de l'église qui, après une union illicite, sans se soucier de l’impureté de sa personne, consent à prier sur le pain de l’eucharistie : un tel acte profane le sanctuaire et produit une souillure. » Selecta in Ezech., vu, 22, t. xiii, col. 793. Qu’il s’agisse ici de la faute du ministre ou de celle du fidèle qui unit sa prière à celle du célébrant, ce qui est affirmé, c’est la sainteté requise non seulement pour communier, mais déjà pour prendre part aux mystères.

Les liturgistes ont cru pouvoir relever dans Origène un assez grand nombre d’allusions à la liturgie eucharistique : lectures de la Bible, homélie, hymnes, prières, baiser de paix, Sanctus, emploi d’une anaphore ayant des ressemblances avec celle de la liturgie de saint Marc et qui, comme cette dernière, comprendrait : une doxologie, des prières de louange à Dieu remercié pour la création et la rédemption, des intercessions pour toutes sortes de personnes, la demande de pardon des péchés, une doxologie finale. La communion est faite sous les deux espèces et on reçoit debout le pain consacré dans sa main, on l’emporte parfois hors de l’assemblée pour se communier. La formule : Sancta sanctis serait employée. On a même cru pouvoir découvrir dans certaines paroles d’Origène des formules pareilles à des textes de l’anaphore que contient la liturgie de saint Marc. Voir Fortescue, op. cit., p. 40-45, qui fait observer avec raison qu’Origène ayant été aussi en Palestine, certains traits cités par lui peuvent être des allusions à la liturgie de ce pays.

Conclusion. — D’après Origène, les chrétiens offrent à Dieu et à lui seul une oblation de prémices, un sacrifice, celui du pain et du vin sanctifiés par la prière et l’invocation, devenus ainsi un corps saint et sancti-