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MESSE CHEZ LES ALEXANDRINS : ORIGÈNE


qu’Origène ait en vue l’eucharistie proprement dite des chrétiens.

II affirme qu’elle est un bienfait du Christ et remonte à lui, comme à son auteur. <> Si tu montes avec lui (le Sauveur) au cénacle pour fêter la Pàquc, il te donne le calice de la Nouvelle Alliance, il te donne aussi le pain de la bénédiction ( de l’eulogie), il te donne son corps et son sang. » In Jerem., hom. xviii, f3, P. G., t. xiii, col. 489 (traduction Batiffol ; texte corrigé ici par celui de l'édit. Klostermann, du Corpus de Berlin, Origenes Werke, t. iii, p. 169). On relève donc, à côté de l’affirmation de la présence réelle, l’emploi de la locution biblique d’après laquelle le sang du Christ a scellé le pacte d’alliance entre Dieu et le nouvel Israël. Voir encore une allusion à l’institution, In Matth. comment., 85, P. G., t. xiii, col. 1734.

Le docteur alexandrin a eu l’occasion dans son traité Contre Celse de compléter la précédente déclaration : « Rendant grâces au Créateur de l’univers, écrit-il, nous mangeons le pain que nous (lui) offrons avec actions de grâces et prières pour ces dons ; ils sont alors devenus un corps par la prière, quelque chose de saint qui sanctifie ceux qui en usent avec une intention saine. Cont. Cels., viii, 33, P. G., t. xi, col. 1565. « Celse, écrit encore Origène, veut que nous offrions des prémices aux démons. Pour nous, c’est à celui qui a dit : « Que la terre fasse germer la verdure », que nous offrons des prémices et que nous portons nos prières, ayant un grand pontife qui a pénétré dans le ciel, Jésus, Fils de Dieu. » Ibid., viii, 34, col. 1565.

Non, nous le déclarons, ajoute-t-il, nous ne sommes pas des hommes au cœur ingrat. Sans doute, nous ne sacrifions pas, nous n’accordons pas de culte à des êtres qui sont nos ennemis, bien loin de nous octroyer leurs bienfaits..Mais à l'égard du Dieu qui nous a comblés de faveurs… nous craignons d'être des ingrats. Le signe de cette reconnaissance envers Dieu, c’est ce pain qu’on appelle l’eucharistie. » Ibid., vi i, 57, col. 1604.

La suite de ce développement prouve mieux encore peut-être que l’oblation de cet aliment n’est pas une simple prière de louange, mais l’acte rituel par excellence, le sacrifice réservé à la divinité. « Bien plus, écrit Origène, si nous savons que les anges et non lesdémons sont préposés à la production des fruits de la terre et à celle des animaux, nous les louons et les déclarons bienheureux… mais nous ne leur rendons pas l’hommage qui est dû à Dieu. Car, ni Dieu, ni eux… ne le voudraient. Au contraire, ils nous approuvent beaucoup plus de ce que nous évitons de leur offrir des sacrifices que si nous leur en présentions. »

Ainsi les chrétiens présentent quelque chose à Dieu, et lui réservent un culte qui est pour lui seul. Il s’agit ici d’une véritable oblalion rituelle, puisqu’elle s’oppose à celle que les païens font aux démons et aux louanges que nous rendons aux bons esprits. C’est une offrande de prémices : on retrouve ici le mot de saint Irénée. Elle est un sacrifice. Ce qui est offert, c’est le pain de l’eucharistie. Il est le signe de notre gratitude envers Dieu. Car la prière fait de lui un corps saint et sanctifiant : c’est à coup sûr la chair du Seigneur qui est ainsi désignée. Pendant que nous l’offrons, nous rendons grâces au Créateur de l’univers : de nouveau la pensée d’Origène rejoint celle d’Irénéc. Puisque Jésus est le grand pontife du ciel, c’est par lui, en raison de sa présence à nos côtés et près de Dieu, que nous remercions le Très-Haut de ses faveurs..Mais ce pain, après avoir été offert à Dieu, est mangé par nous avec remerciements et prières. Bien de plus naturel, car ce pain nous sanctifie, à condition toutefois que notre intention soit saine. La similitude entre cette courte synthèse eucharistique et celle d’Irénée apparaît indéniable. Les idées se rejoignent et certains mots essentiels sont identiques.

Sur la manière dont l’eucharistie est efficace, Origène exprime clairement sa pensée. Ce qui sanctifie l’homme, ce n’est pas la manducation en tant que telle, c’est la conscience qu’on a en se livrant à cette opération. « Puisqu’il s’agit du pain du Seigneur, l’efficacité en est perçue par qui en use, à condition qu’il participe à ce pain avec un esprit pur, avec une conscience pure. Donc le fait même de ne pas manger de ce pain sanctifié par la parole de Dieu et l’invocation ne nous prive d’aucun bien, et manger ne nous fait abonder d’aucun bien ; car la cause de la privation est notre malice, nos péchés, et la cause de l’abondance est notre justice, nos bonnes actions. » In Matth., tom. xi, 11, t. xiii, col. 948 sq. De nouveau nous sommes en face de la pensée qu’exprimait Irénée : « ce n’est pas le sacrifice qni sanctifie l’homme, c’est la conscience pure de l’homme qui sanctifie le sacrifice. » La pensée d’Origène est semblable : il n’y a qu’une légère différence commandée par le sujet : le docteur alexandrin écrit manger là où l'évêque de Lyon avait mis offrir. Les deux idées sont connexes : saneta sanctis. Dans le même morceau, trois fois à quelques lignes de distance, Origène parle du pain sanctifié par la parole de Dieu et l’invocation. Cette locution exprime donc avec exactitude sa pensée. Déjà le témoignage de Clément d’Alexandrie invite à voir dans ce mot sanctifié comme un terme technique synonyme de sacrifié. Nous saisissons de plus ici une nouvelle similitude entre la formule d’Origène employée trois fois et celle d’Irénée, redite elle aussi à trois reprises. Les mêmes paroles doivent exprimer une pensée semblable. Cette parole de Dieu qui est une prière prononcée sur le pain, (cf. Selecta in Ezechiel, vii, , 22, t. xiii, col. 793 : Itzs)yeaQai tû tyjç eù/apicmaç apTw) désigne sans doute les mots du Christ à la cène, encadrés dans une prière et considérés eux-mêmes comme une prière, puisqu’ils appellent le changement du pain au corps du Christ. Tel était déjà le langage de saint Justin. Batiffol, op. cit., p. 278.

Autre trait de ressemblance entre Origène et Irénée. On n’a pas oublié la pensée sur laquelle insiste tant l'évêque de Lyon : le sacrifice nous revient, il est accueilli par Dieu qui en retour accorde ses bienfaits. Voici maintenant ce que dit Origène : « Ce que nous avons donné à Dieu, il nous le rend, avec ce que nous n’avions pas auparavant. Dieu exige et demande de nous qu’il ait l’occasion de donner… Debout donc prions Dieu, afin que nous soyons dignes de lui offrir les dons qu’il nous rendra, de telle soi te qu'à la place des biens terrestres, il offrira les biens célestes dans le Christ Jésus. » In Luc, hom. xxxix, t. xiii, col. 1900. Les deux écrivains chrétiens ont été amenés par l'étude de la Bible à la même conclusion. Leur langage désigne à merveille l’eucharistie sacrifice, pain qu’on offre à Dieu et qu’il nous rend ; nous apportons une créature terrestre, et elle devient le Christ, nous l’offrons et recevons en retour les biens célestes, le Christ lui-même que nous mangeons.

Nous voudrions être renseignés davantage sur les effets du sacrifice. Comment le pain sanctifié et devenu un corps saint, nous sanctifie-t-il ? Oiigene ne fournit pas une longue réponse, mais elle dit tout. Parlant des pains de propositions de l’Ancienne Loi, il fait cette remarque : « Si tu reviens à ce pain qui est descendu du ciel et qui donne au monde la vie, ce pain de proposition que Dieu a proposé comme une propitiation par la foi en son sang, et si tu regardes cette commémoraison dont parle le Seigneur quand il dit : « Faites ceci en mémoire de moi », tu découvriras que c’est cette commémoraison seule qui rend Dieu propice à l’homme. » In LeviL, hom., xiii, 3, t.xii, col. 517. La formule est des plus heureuses. Irénée avait enseigné que le sacrifice nous attire les bienfaits