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AME. SA SPIRITUALITE. DEMONSTR. RATIONNELLE

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réjouit aujourd’hui n’est pas le même que celui qui se réjouissait hier, la reconnaissance, l’identification devient impossible. C’est une condition essentielle de la mémoire, que le moi qui perçoit et agit dans le présent se reconnaisse identique à celui qui a perçu et agi dans le passé. Aussi bien, toute opération intellectuelle étant successive, il faut que le principe qui la produit ne s’évanouisse pas à chacun des instants qui constituent sa durée. Comment le jugement et le raisonnement seraient-ils possibles, si le moi qui saisit le rapport entre deux termes et formule une conclusion était différent de celui qui a pensé chacun des deux termes et ordonné les prémisses ? Enfin, nier que la personne présente soit la même que la personne passée, c’est ruiner la base de la responsabilité morale. On n’est responsable que de ce qu’on a fait.

Les empiristes, avec Hume et Stuart Mill, se sont attaqués à l’unité et à l’identité du moi. Ils n’ont bien vu que la multiplicité et la succession. Le monde psychologique qu’ils imaginent, ressemble au monde des atomes d’Lpicure. Les entités phénoméniques flottent dans une sorte d’espace intérieur, s’agrégeant ou se désagrégeant selon les lois et les symboles de l’associationisme. Dans cette hypothèse, on essayerait en vain de faire sortir l’unité de la pluralité. Dira-t-on que l’unité est illusoire ? Encore faudra-t-il expliquer cette illusion. Ce qui apparaît à la conscience est une réalité pour la conscience. Nier l’unité réelle du moi, c’est se condamner à ne pouvoir rendre compte de l’unité illusoire. Ce qui rend l’illusion possible, c’est précisément l’unité du moi, unité dont on peut faire une attribution illégitime. — D’ailleurs le moi réduit à une série de phénomènes est un non-sens et une contradiction. Les phénomènes s’enchaînent les uns aux autres suivant des rapports déterminés. Si l’on n’admet pas une activité synthétique pour créer cet enchaînement et penser ces rapports, la série devra préexister à elle-même et se produire elle-même. Si l’on dénie tout enchaînement à la collection, comment y aura-t-il collection ? Chaque phénomène restera absolument indépendant, il aura un commencement absolu, il existera sans cause.

Conclusions :
1° le moi n’est pas une simple série d’états de conscience ;
2° les états de conscience sont enchaînés les uns aux autres par des rapports déterminés ;
3° le moi crée cet enchaînement et pense ces rapports ;
4° le moi est une unité et une identité dominant la multiplicité et la succession ;
5° l’unité est intérieure à la multiplicité et réciproquement la multiplicité est intérieure à l’unité, l’identique est intérieur à la succession et réciproquement la succession est intérieure à l’identique ;
6° le moi, donné par l’intuition, consiste dans le rapport vivant des états psychologiques multiples et successifs à un centre virtuel commun, un et identique.

Le moi psychologique et conscient n’est intelligible, à son tour, que si l’on suppose un moi métaphysique, c’est-à-dire une réalité substantielle, source profonde et inconsciente de notre vie intérieure. Du reste, le moi métaphysique est contenu, implicitement et à l’état d’involulion, dans les données que nous fournit l’intuition du moi psychologique. Le moi est d’abord perçu comme un tout. Bientôt l’analyse distingue des parties matérielles et formelles : parties matérielles, la pluralité et la diversité ; parties formelles, l’un et l’identique. Le centre vers lequel convergent les états de conscience est reconnu distinct de ces états ; l’un et l’identique apparaissent comme les propriétés du centre, tandis que le multiple et le divers sont la caractéristique des points convergents. Il n’en faudrait pas conclure que le moi est une entité juxtaposée à des entités. La vie intérieure ne se laisse pas scinder de façon si peu organique, et, si elle ne s’oppose pas à la distinction, elle exclut toute séparation : l’unité, l’identité et la permanence sont intérieures à la multiplicité, à la diversité et à la succession. Toutes les propriétés du noyau central, où la vie se retire et se recueille, sont participées et vécues dans la périphérie où elle s’épanche et s’épanouit. Aussi le moi est-il incapable, simultanément et sous le même rapport, de vivre plusieurs vies qui se contredisent, d’être dans la joie et dans la tristesse, de pratiquer le vice et la vertu. Mais il peut, successivement ou sous des rapports différents, vivre deux vies opposées, être joyeux et triste, vicieux ei. vertueux. Or de ce que le moi passe par des états contraires, on doit le distinguer de chacun d’eux. La pierre étant tantôt en mouvement et tantôt en repos, n’est constituée par aucune de ces situations contradictoires. Si la cire, qui ne peut être tout à la fois ronde et carrée, revêt successivement ces deux formes, c’est qu’elle n’est identique à aucune d’elles. Les états de conscience sont donc réellement distincts du principe qui leur communique sa vie et ses propriétés. De plus, si le moi peut exister sans un mode déterminé, aucun mode ne peut exister sans lui. On conçoit que la joie soit absente de la conscience affective, mais on ne se représente pas qu’elle y soit présente sans se rattacher au moi. L’existence des états de conscience dépend de leur centre virtuel commun et l’existence de ce centre est indépendante de tel état particulier.

En termes logiques, on appelle sujet ce qui reçoit des attributs ; et sujet premier, ce qui n’est pas soi-même attribut. On désigne sous le nom d’attribut ce qui n’existe que dans un sujet et par un sujet. Le sujet premier ne se distingue pas de la substance et les attributs représentent les accidents. Le moi est donc un tout organique et vivant composé de substance et d’accidents. Et, comme au point de vue ontologique, la substance communique l’existence à l’accident et le fait participer à son unité et à son identité, on peut dire que le moi est une substance douée d’accidents.

Tel est le moi métaphysique que suppose rationnellement le moi psychologique. Les scissions de la personne, observées dans certains états morbides, n’affectent tpie la conscience et la mémoire, sans même rider la surface de la vie ontologique et substantielle.

L’âme, qui est dans le moi, comme on le verra bientôt, la source première de l’activité, doit être logiquement une partie de sa substance, un principe substantiel.

IV. L’ame humaine est simple. —

Le moi possède une triple vie, vie organique, vie sensitive et vie intellective. Dans sa vie organique et sensitive, il se scinde en deux parties intrinsèquement unies : l’organe et la fonction ; la vie intellective l’émancipé de l’organe et en élève les fonctions au rang de facultés spirituelles. L’âme humaine est la partie du moi qui donne naissance aux fonctions, soit organiques, soit hyperorganiques.

Commençons par étudier celles des fonctions de l’âme humaine qui sont seulement simples, c’est-à-dire qui se distinguent réellement de l’organe, tout en lui (’tant intrinsèquement unies.

L’organe est une portion de l’organisme. Composé de parties étendues, juxtaposées, existant les unes en dehors des autres, il n’est pas de lui-même un principe d’activité. Les matérialistes peuvent retourner le concept d’étendue, ils n’y trouveront pas le concept d’activité, ou plutôt ils l’y trouveront à titre de postulat nécessaire pour expliquer la juxtaposition et la coexistence des pai lies. L’étendue réelle n’est possible que par un principe actif, unissant entre elles les parties quantitatives et les faisant coexister. L’organe, envisagé sous le rapport de son extension, est une coalescence de cellules innombrables, composées elles-mêmes de parties. L’activité s’manifeste, non comme ! " résultat, mais comme l’architecte de l’édifice cellulaire. On peut donc voir dans l’organe la base matérielle de l’activité. — La fonction en constitue la forme. Au sein de la matière orgaii is’e, elle se pose en face île l’étendue et dans l’étendue.