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1001 AME. DÉVELOPPEMENT DE LA DOCT. DU IV 8 SIÈCLE AU XIII 1002

s’imposa point ; et comme les deux plus grands esprits et les plus philosophiques de ces premiers temps, Tertullien et Origènc, eurent leurs erreurs, comme l’atmosphère était encore saturée des notions confuses de la philosophie païenne, le progrès fut lent. Faire quelque chose de rien, pur esprit, ces notions semblent simples et faciles à qui les reçoit toutes faites ; nos pères dans la foi eurent de la peine à les concevoir dans toute leur pureté. Des idées nouvelles, celle de prédestination, de péché originel, etc., n’avaient pas encore leur place dans un système coordonné ; on la leur fit, mais parfois aux dépens d’autres vérités. Il restait à unir nova et vêlera, les données du dogme et celles de la philosophie, en un tout fortement lié. D’aulre part, quelques textes bibliques mal interprétés — et ils furent mal interprétés surtout parce que les esprits étaient pleins à l’avance des idées qu’on y crut trouver — servirent aussi d’occasion à l’erreur : les textes de saint Paul sur les deux hommes qui sont en nous, sa distinction des hommes charnels ou psychiques d’avec les spirituels pouvaient avoir un sens trichotomiste pour une intelligence platonicienne, d’aulant que le mot esprit était vague et signifiait parfois, en même temps que le Saint-Esprit habitant en nous, le don spirituel, la grâce sanctifiante, principe intrinsèque de la vie surnaturelle en nous. Les nécessités du langage populaire de Notre-Seigneur parlant du doigt de Lazare et de la langue du mauvais riche pouvaient autoriser des esprits habitués à unir âme et corps comme des groupes inséparables, à doter les âmes séparées d’un corps sui generis, comme l’imagination le leur prête nécessairement. Autant d’obstacles à la vraie philosophie du dogme.

J. Bainvel.



IV. AME. Développement de la doctrine du IV’siècle au XIII’
I. Saint Grégoire de Nysse.
II.Némésios.
III. Saint Augustin.
IV. Après saint Augustin.

La philosophie n’avait guère servi jusque-là qu’à soulever les questions et à les poser plus nettement. Nous allons la voir, à partir du IVe siècle, chez quelques Pères et chez les scolastiques éclairant de sa lumière les données dogmatiques, allant elle-même, guidée par ces données, plus loin que n’étaient allés Platon ou Aristote, avec une confiance dans la raison et une hardiesse que rien n’étonne. Nous ne pouvons — car il faut se borner — continuer d’étudier en elles-mêmes les idées de chacun. Essayons de marquer en quelques traits la marche du mouvement et le développement général de la doctrine.

En Orient, deux hommes surtout ont eu grande influence, Grégoire de Nysse et Némésios d’Émèse ; en Occident, Augustin.

I. Saint Grégoire de Nysse.

Grégoire a été amené par sa polémique contre Eunomios à étudier de près les limites de notre savoir, comment nous nous connaissons nous-mêmes et comment nous connaissons Dieu. Il est possible, d’autre part, que les préoccupations de la lutte contre Apollinaire — qui refusait à Notre-Seigneur .h sus-Christ l’âme intellectuelle — l’aient amené à regarder de plus près la nature de l’homme, et cette merveilleuse union de l’âme et du corps qui avait donné le vertige au génie d’Origène. Toujours est-il que Grégoire a spécialement étudié l’homme, âme et corps. Sa doctrine est à peu près celle qui nous est familière : l’homme animal raisonnable (^oiov).o-fixôv), l’âme incorporelle et spirituelle, unie au corps d’une façon mystérieuse, partout présente en lui, mais comme un roi dans son royaume, comme Dieu dans le monde, présente à la manière des esprits et non d’une présence locale, pour lui donner le sentiment et la vie, pour ne faire avec lui qu’un seul composé substantiel ; une dans la multiplicité de ses fonctions, faisant le corps à son image comme elle est elle-même à l’image de Dieu ; l’homme tout entier chef-d’œuvre de la création, petit monde dans le grand monde, mieux encore, trait d’union entre le monde des esprits et celui des corps : telles sont les principales vérités développées par Grégoire avec une vigueur de pensée et une vivacité d’expression qui, selon le désir de l’auteur, font du traité De la formation de l’homme le digne couronnement des discours de Basile sur l’Hexaméron. Dans le beau dialogue entre Macrine et Grégoire Sur l’âme et la résurrection, le ton est autre, mais les idées sont les mêmes, nettes et justes (à part quelques points obscurs ou erronés) sur la nature de l’âme et sur ses fonctions, sur l’unité merveilleuse du composé humain, sur la dignité de l’homme et sa place dans ce monde. Un point encore à noter, Grégoire a devancé Augustin, quand il a trouvé dans l’âme l’image de la Trinité. Oratio calechet., i-m, P. G., t. xlv, col. 13-15. Est-ce la première apparition de l’idée ?

Grégoire s’arrête spécialement à montrer que l’âme et le corps ont été créés ensemble, ni l’âme avant le corps (et ceci est dirigé en termes exprés contre l’auteur du Ilepi àpxwv), ni le corps avant l’âme. C. xxviii, xxix, P. G., t. xliv, col. 229 sq. N’a-t-il pas insisté sur cette unité de production au point de nier la création des âmes et de les présenter comme engendrées par les parents ? Son langage n’est pas toujours clair là-dessus, et l’extrême réalisme avec lequel il a affirmé l’unité du genre humain sans presque tenir compte des individus, devait le pousser en ce sens. Schwane croit pourtant que les principes de la foi l’ont gardé de l’erreur. Schwane, Dogmengeschichte, t. il, §53, n. 7, p. 430. Cf. § 52, n. 2, p. 422.

E. G. Môller, Gregorii Nysseni doctrinam de hominis natura et illustravit et cuin Origeniana comparavit, Halle, 1854 ; J. N. Stigler, Die Psychologie des hl. Gregor von Nyssa, Ratisbonne, 1857 ; Bouedron, Doctrines philosophiques de saint Grégoire de Nysse, Nantes, 1861 ; I.-C. Bergades, De universo et de anima hominis doctrina Gregorii Nysseni (en grec), Thessalonique, 1876 ; Fr. Hilt.Dss hl. Gregor von Nyssa Lehre vom Menschen, Cologne, 1890. Bon résumé dans Schwane, t. ii, §53, p. 425-431.— Ritter insiste tant sur les idées théologiques, si peu sur l’anthropologie qu’on croirait lire une histoire du dogme. Philos, chrét., t. ii, l. V, c. m ; traduct. française, t. il, p. 95 sq. ; Gonzalez, Histoire de la philosophie, t. ii, § 13, p. 52-57.

II. Némésios.

Grégoire, tout philosophe qu’il est, parle encore en père de l’Eglise. Dans Némésios le philosophe se montre presque seul. Plus complet que Lactance ou Grégoire, plus développé que Tertullien, il nous offre dans les quarante-quatre chapitres de son livre Sur la nature de l’homme une étude touillée, didactique, exacte en somme et précise, sur l’homme et sur sa place dans le monde (définition, c. i, P. G., t. xl, col. 524) ; sur l’âme et sur sa nature spirituelle et immortelle (c. ii, col. 536-589) ; sur l’union de l’âme et du corps (c. ni, col. 592-608) ; sur le corps et les éléments qui le composent (c. iv-v, col. 608-632) ; sur les sens et les multiples facultés de connaissance, soit sensibles, soit spirituelles (c. vi-xv, col. 632-672) ; sur l’appétit et les passions (c. xvi-xxii, col. 672-693) ; sur la vie végétative et la puissance locomotrice (c. xxiii-xxviii, col. 672-717) ; sur l’activité volontaire et ses conditions, sur la liberté, sur la providence (c. xxix-xliv, col. 717817), le tout avec une grande érudition philosophique, avec force détails d’une physiologie parfois exacte et qui devance son temps (ainsi sur la circulation du sang, c. xxiv), avec une belle indépendance de pensée, à la lumière de la foi. — Némésios tient pour la préexistence de l’âme, sans rien d’ailleurs qui rappelle les rêveries origénistes. Il ne veut pas qu’on la dise créée après le corps, ni dans le corps : ce serait la faire mortelle. Aussi bien, dit-il, peut-on admettre que le monde reçoive tous les jours, au bas mot, cinquante mille substances spirituelles ? C’est le faire bien imparfait encore, pour supposer qu’il finira juste quand le nombre des âmes sera complet, comme les enfants qui jouent sur le sable démolissent leur œuvre dès qu’ils l’ont achevée. Enfin — et ici les