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AME. DOCTRINES DES TROIS PREMIERS SIÈCLES

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non de Dieu ; celle de Platon, qui nie que l’Ame ait été faite, et qu’elle ait commencé, ni, IV, col. 652. Sans rien préjuger encore sur le mode propre d’origine des âmes. — Immortalem, Tertullien ne traite pas ici la question ex professo. Mais il est très net sur l’immortalité naturelle, tout en repoussant, comme Justin, Tatien, Irénée, l’immortalité essentielle, qui ne convient qu’à Dieu.

Corporalem, effigiatam.

Voici la grosse erreur que nous avons vue dans Tatien, et dont Irénée ne parait pas indemne. On a voulu pallier l’erreur de Tertullien (saint Augustin timidement, avec plus de bonne volonti’que de conviction, De Gènes, ad litt., xxvi ; De liseresibus, lxxxvi, l’abbé Freppel avec plus de résolution, Tertullien, t. ii, p. 355) ; on a voulu croire qu’il prétendait seulement affirmer la « réalité substantielle » de l’âme. Il est vrai, ni notre auteur ni ses devanciers n’entendent parler de corps ebarnel, grossier, composé de parties hétérogènes, dissolubles comme notre corps ; ils le subtilisent le plus possible, ils le spiritualisent en quelque sorte, ils s’arrangent, tout en faisant l’àme corporelle, pour lui laisser toutes ses propriétés spirituelles. Mais que Tertullien entende bien parler de corps, toute son argumentation ne permet pas d’en douter, v-ix. Et il faut reconnaître que cette argumentation est merveilleuse de verve, d’audace dialectique, de subtilité ingénieuse, d’imagination voyante : c’est du Lucrèce en prose. D’abord, il fait siens les arguments des stoïciens et des épicuriens pour la corporéité de l’âme, v. Puis il repousse les objections platoniciennes, VI. La grande preuve d’autorité pour lui comme pour Irénée, c’est l’histoire de Lazare et du mauvais riche, où il s’agit d’âmes et où tout est corporel. Ne dites pas que ce sont des images ; l’image suppose un fondement réel, nec mentiretur de corporalibus membris Scriptura, si non erant, vii, col. 657. Sa preuve encore, c’est le fait qu’elle souffre du feu matériel, et qu’elle est dans le lieu. Ibid. Arguer de ce que ce corps n’est pas comme les autres corps et n’en a pas les propriétés, c’est nier l’unité générique à cause des différences spécifiques, viii, col. 657. Quand l’âme s’en va, dit-on, le corps devient plus lourd ; si l’âme est corporelle, il devrait devenir plus léger. Oui, répond Tertullien après Soranus, si l’âme ne soulève pas le corps comme la mer fait le navire, viii, col. 658. L’âme est invisible aux yeux de chair. Il faut l’expliquer « et par la condition de son corps et par la propriété de sa substance », mais aussi « par la nature de ceux à qui elle est invisible ». « Le soleil est un corps : l’aigle s’en rend compte, si la chouette le nie… Si le corps de l’âme est invisible à la chair, saint Jean, sous l’action de l’esprit divin, a vu les âmes des martyrs, » vii, col. 658. « A un corps de nature si particulière, proprise qualitatis et sui generis, il ne faut demander que des propriétés sui generis. Mais allons jusqu’au bout : les propriétés essentielles des corps, solemniora quæque et omnimode ûebita corpidentiæ, nous les mettons aussi dans l’âme, ainsi Yhabitus, ainsi les lignes définies, terminum, ainsi les trois dimensions des philosophes. Plus encore, nous donnons une forme à l’âme, e[pgien>, des linéaments corporels — en dépit de Platon qui va croire l’immortalité en péril — et nous en avons pour garants les révélations dont Dieu veut bien à nous aussi faire la grâce. Il y a en ce moment chez nous (n’oublions pas que c’est le montaniste qui parle) une sœur qui a le don des révélations… Un dimanche., j’avais parlé de l’âme, pendant que cette sœur était ravie en esprit. Après la cérémonie et le congé donné à la foule, fidèle â sa coutume de nous redire ses visions : « Entre autres choses, « rne dit-elle, j’ai vu une âme sous forme corporelle, « corporaliter, et elle avait l’air d’un esprit, mais non « d’un esprit vide et sans consistance, sed non inanis et « vacuæ qualiUiiis ; elle me disait même qu’elle pouvait « se toucher, tendre et lumineuse et de couleur aérienne, « avec la forme humaine en tout, lenera, et lucida, et « aerii coloris, et forma per omnia humana. » Et quelle couleur, en effet, reprend Tertullien, pourrait-on imaginer â l’âme, sinon l’aérienne et la lumineuse ? Non pas, ajoutet-il, qu’elle soit air, non plus que lumière. Mais comme tout ce qui est délié et transparent rivalise avec l’air, l’âme doit être cela, étant, comme elle est, souffle et esprit transmetteur ; sed quoniam omne tenue atque perlucidum aeris semulum est, hoc eril anima, qua palus est et spiritus tradux. Elle est en effet ténue et subtile au point de faire douter presque de sa corporéité. A vous maintenant de ne pas lui attribuer d’autre forme que la forme humaine, la forme même du corps que chacune a eu. C’est à quoi d’ailleurs nous amène le récit de ses origines. Quand Dieu, en effet, eut soufflé en la face de l’homme le souflle de vie, ce souffle passa aussitôt tout entier de la face au-dedans, il se répandit partout dans le corps, et en même temps condensé par l’aspiration divine, simulque divina aspiratione densatum, il reçut en dedans tous les traits de la masse qu’il avait remplie, comme s’il avait gelé dans son moule (c’est la comparaison que nous avons déjà rencontrée chez Irénée). Ainsi, conclut Tertullien, le corporel de l’âme, corpulentia animée, se solidifia en se condensant, et sa forme se modela par empreinte. Ce sera là l’homme intérieur, l’autre est l’homme extérieur, un en deux ; et il aura aussi, celui-là, ses yeux et ses oreilles…, il aura les autres membres qui lui servent dans ses pensées, qui ont leurs fonctions dans ses songes. Ainsi, le riche a sa langue dans les enfers, le pauvre son doigt et Abraham son sein. C’est par ces traits que les âmes des martyrs peuvent se voir sous l’autel. Car, dès l’origine en Adam l’âme concrétisée et moulée sur le corps a servi de germe pour cette condition (d’être corporelle ) comme pour toute la substance, » IX, col. 659661. Ces citations coupent court, si je ne me trompe, à tout essai d’interprétation trop bénigne ; et si ailleurs il semble regarder comme tout un les termes corpus et substanlia, Adv. Hermog., xxxv, xxxvi, col. 229-230, on n’en peut rien conclure contre sa pensée si clairement exprimée ici ; et de même lorsqu’il dit que rien n’est incorporel sauf ce qui n’est pas. De carne Christi, xi, col. 774.

Elles ont d’autres avantages. Elles nous aident à voir l’occasion de l’erreur, quelques textes bibliques pris à la lettre ; et sa cause psychologique, l’obsession de l’image ; et la profonde réalité qu’entrevoyait notre auteur et qu’il a voulu exprimer philosophiquement, l’âme forme du corps. Pour ne rien dire des textes bibliques ni des visions de la « sœur » montaniste, il est visible que, dans une bonne partie de ses développements, Tertullien est la dupe de son imagination — quand il nous peint, par exemple, si puissamment le souflle divin pénétrant le limon et s’y solidifiant. Dupe encore, mais avec une secrète complaisance pour une illusion qui lui fournissait un argument, quand il feint de croire que l’âme ne sera rien, si elle n’est corps, vii, col. 657. L’imagination a influé sur toutes ses vues à cet égard. Nous qui recevons les idées toutes faites, toutes coulées dans des moules de convention, nous avons appris à distinguer l’image de l’idée, nous corrigeons, par réflexion et sous l’influence d’autrui, notre penchant instinctif à juger de l’objet d’après le symbole sensible où seulement nous pouvons le contempler. Les anciens, ceux-là surtout qui se faisaient à eux-mêmes leurs idées, n’avaient pas la même facilité ; et Augustin comprend fort bien l’impuissance de Tertullien à. concevoir l’àme comme incorporelle, lui qui avait été si longtemps le jouet de son imagination à propos de Dieu lui-nu’Mais il est visible, quand on suit attentivement la pensée de Tertullien — on pourrait en dire autant de Tatien et d’Irénée — que cet esprit si philosophique ne s’abandonne ici à son imagination qu’à la suite de sa raison même. Sans s’attarder à suivre chez lui ou chez