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231 ABS. DES PEC, THÉORIES DES RATIONALISTES MODERNES

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de l’Esprit est sûrement une investiture. Mais est-il permis d’en conclure que tout don de l’EspritSaint ait conféré une investiture semblable ? A ce compte tous les baptisés, confirmés par l’Esprit, auraient possédé le pouvoir d’absoudre. Les apôtres, les docteurs, les propbètes n’auraient pas été plus privilégiés que les autres, ce qui est contraire à la théorie. Du reste l’Écriture fait voir que l’Esprit confère ses dons comme il veut, et que chacun de ces dons a sa vertu spéciale. Cet esprit que le Sauveur communique à ses apôtres en vue du pouvoir de remettre et de retenir les péchés, est aussi d’un ordre particulier. Il ne s’ensuit donc pas que les charismes qui faisaient les docteurs et les prophètes, aient investi ces derniers du pouvoir d’absoudre. — On nous objecte le texte de saint Paul, I Tim., IV, 14, dont l’interprétation n’est pas sans difficulté. Il y a là en effet une liaison, réelle ou apparente, entre la prophétie et la dignité presbytérale : Noli negligere gratiam quæ in te est, quæ data est tibi per prophetiam, cuni impositione mamium presbyterii. Mais pourquoi rappeler ce texte à propos du pouvoir des clefs ? Si Timothée exerçait ce pouvoir, rien ne nous autorise à penser que c’était en vertu du charisme prophétique, plutôt qu’en vertu de son autorité presbytérale. — Il n’est pas d’ouvrage dans l’antiquité, qui nous donne une idée plus haute de l’organisation charismatique que la Didachè. Les docteurs et les prophètes y occupent un rang tout à fait à part ; on les appelle les « archiprêtres » de la communauté, àp/iépsiç. Mais il est remarquable qu’en face d’eux s’élève la hiérarchie des évêques et des diacres, qui reçoivent leur autorité par l’imposition des mains. Didachè, c. XIII, xiv. Les deux organisations existent donc côte à côte. Quant au pouvoir d’absoudre, il n’en est nullement question dans tout l’ouvrage, pas plus pour les docteurs et les prophètes, que pour les évêques. — Il faut descendre jusqu’à lertullien pour trouver une base à la théorie charismatique du pouvoir de lier et de dédier. Et encore les termes dans lesquels Tcrtullien exprime son opinion n’ont rien de décisif. Devenu monlaniste, il s’acharne à démontrer qu’une catégorie de péchés sont irrémissibles. De pudicitia, c. I, ii, vii, xi, etc., P. L., t. il, col. 981 sq. — Il torture les paraboles de la brebis perdue, de la drachme perdue, de l’enfant prodigue, qu’il avait jadis interprétées dans le sens catholique, pour les accommoder à son opinion nouvelle. Comparer De pasnitentia, c. vin et De pudicitia, c. vii, vin. Le texte de saint Matthieu sur le pouvoir des clefs confié à saint Pierre l’arrête et l’embarrasse. Il accorde, à la rigueur, que les apôtres ont pu remettre les péchés dont le pardon était réservé à Dieu, mais seulement en vertu d’un pouvoir spécial attaché à la personne et non à la fonction, non ex disciplina, sed ex potes tate. (Sur le sens des mots disciplina et potestas, voir le contexte, De pudicitia, c. xxi.) Les apôtres ont opéré’des miracles comme le Christ, comme lui ils ont pu remettre les péchés ; les prophètes ont eu la même puissance. « Pour remettre les péchés, dit-il au pape, il faut donc que vous soyez ou prophète ou apôtre. » lbid. Certes l’Eglise a le pouvoir de remettre les péchés. Mais quelle Église ? « L’Eglise de l’Esprit et des spirituels, non l’Église qui s’autorise du nombre des évêques, » Ecclesia Spiritus per spiritalem hominem, non Ecclesia numerus episcoporum. lbid. Malgré cela, les péchés gr..es ne seront pas remis. Bien plus, l’Espril interdii même aux spirituels d’exercer le pouvoir d’absoudre, de peur que les pécheurs ne retombent de nouveau. lbid. Ainsi par haine de [’Église catholique et du pape, qui usaient du pouvoir des clefs, Tcrtullien (fuie même à ceux qui représentaient, suivant lui, la véritable Église, aux spirituels, aux prophètes et aux apôtres, le droit d’exercer ce pouvoir. De son aveu, du moins, les pneumatiques ou spirituels ne l’appliquaient pas. Nous arrivons de la sorte au iu c siècle, sans ren contrer un seul document qui nous montre ce que l’on appelle l’organisation charismatique usant du pouvoir d’absoudre.

2° Les martyrs ont-ils possédé le pouvoir d’absoudre ?

— Les martyrs seront-ils plus privilégiés que les docteurs et les prophètes ? A en croire Preuschen, il serait aisé de trouver dans Tcrtullien et dans Eusèbe la preuve que les martyrs remettaient les péchés aux lapsi. En vertu de leurs mérites extraordinaires et de l’Esprit qui descendait en eux d’une façon particulière, ils devenaient les organes des sentences divines et pouvaient déclarer que les pénitents étaient libérés de leurs fautes. On remarquera que cette théorie est en contradiction avec l’opinion reçue, suivant laquelle les martyrs se bornaient à intercéder pour les lapsi, et à demander leur réintégration dans l’Eglise. Voyons les textes :

1. Textes d’Eusèbe.

On allègue d’abord la célèbre lettre qui contient le récit tic la persécution de Lyon sous Marc-Aurèle. On veut que l’attitude des martyrs prouve (pue nous sommes en présence d’une effusion de charismes comme aux plus beaux temps de l’Eglise apostolique. Mais il resterait à prouver qu’en vertu de c’s charismes divins les martyrs possédaient le pouvoir d’absoudre, ce que ne dit aucunement la lettre. A la vérité, on interprète dans ce sens le passage où les Lyonnais célèbrent la charité des martyrs : « Pendant leur vie ils défendaient tout le monde ; ils n’accusaient personne ; ils tâchaient de briser les chaînes de tous, ils ne liaient personne. A l’exemple du martyr Etienne, ils priaient pour ceux qui les livraient au supplice, en disant : Seigneur, ne leur imputez pas ce péché… A plus forte raison ils priaient pour leurs frères… Ils ne se glorifiaient pas de la chute de leurs frères plus faibles, mais ils partageaient charitablement, avec ceux qui étaient moins bien pourvus, les dons que la grâce divine leur avait largement départis. Touches de pitié, comme une mère indulgente, ils répandaient d’abondantes larmes pour leur salut devant Dieu le Père, ils demandaient que Dieu leur rendit la vie, et Dieu leur rendit la vie, et ils communiquèrent la vie à leurs proches. » Eusèbe, Hist. eccl., l. V, c. il, P. G., t. xx, col. 436. Certes on voit éclater ici la charité chrétienne dans toute sa beauté. Mais Eusèbe nous dit expressément qu’il n’avait d’autre but que de la donner en exemple à la postérité. Du pouvoir d’absoudre, il n’est nullement question. L’ensemble du texte ne permet pas de voir dans la prière des martyrs autre chose qu’un acte d’intercession. — Ailleurs Eusèbe met en présence l’un de l’autre un iv.ux martyr et une propbétesse montaniste, l’un brigand, l’autre avare. Apollonius leur dit ironiquement : Lequel remettra à l’autre son péché ? La propbétesse pardonnera-t-elle au martyr ses forfaits ? ou le martyr pardonnera-t-il à la prophétesse son avarice ? Hist. eccl., l. V, c. XVIII, P. G., t. xx, col. 477. La plaisanterie se comprend très bien dans l’hypothèse où les montanistes auraient attribué aux martyrs et aux prophètes le pouvoir d’absoudre. Mais il n’est pas sur que tel s lit le sens de l’apostrophe d’Apollonius. En tout cas il s’agirait d’une secte que l’Eglise catholique, déjà bien constituée en Orient comme en Occident, répudiait à bon droit. On ne peut pas dire que les montanistes aient été les seuls et vrais gardiens de la doctrine apostolique en matière d’absolution. — Le cas des martyrs d’Alexandrie, rapporté par Eusèbe, n’autorise pas davantage l’opinion de Preuschen, L’évêque l>ens expose à son collègue Fabius d’Anlioche l’embarras dans lequel l’ont jeté certains martyrs qui avaient, de leur vivant, admis de leur’propre autorité à la communion eucharistique plusieurs lapsi. Doit-il ratifier leur sentence, ou la considérer comme non avenue ? Eusèbe, llist. ceci., l. VI, c. Xl.ll, I’. G., t. xx, col. 613-616. Cette demande suppose et comprend une double question, la question de fait et la question de droit. Le lait de lad-