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ABSOL. DES PÉCHÉS, SENTIMENTS DES ANC. SCOLASTIQUES


prêtre ? IV. Quelle forme doit revêtir l’absolution des péchés’.'

I. Les prêtres ont-ils reçu le pouvoir d’absoudre les péchés ? — Les théologiens se sont demandé, à partir de la fin du XIe siècle, quelle est l’efficacité propre de l’absolution du prêtre dans la rémission des péchés, et si cette rémission ne peut pas être obtenue par la confession à un laïque, lorsqu’on ne saurait recourir à un prêtre. Nous étudierons plus loin l’histoire de ces deux questions (§ 2 et 3). Un grand nombre d’auteurs, particulièrement parmi les protestants, voient, dans les hésitations des anciens scolastiques sur ces deux points, une preuve que, jusqu’au XIIIe siècle, on ne reconnaissait pas aux prêtres le pouvoir d’absoudre, et que la doctrine catholique relativement à ce pouvoir a été le résultat des discusions dont nous venons de parler. C’est pourquoi il convient d’établir ici : 1° que cette doctrine était enseignée sans conteste avant le xiie siècle ; 2° que, depuis lors, personne ne Fa mise en doute sans être frappé des condamnations de l’Église et combattu par la masse des théologiens.

1° Avant le x/ie siècle. — La doctrine de l’Église à cette époque résulte suffisamment de ce qui a été dit à l’article précédent et il serait trop long de passer en revue tous les auteurs depuis le viir 3 siècle jusqu’au XII e. Il sera utile cependant d’en interroger encore quelques-uns, surtout parmi ceux auxquels nous verrons émettre plus loin des assertions qui semblent contraires au pouvoir sacerdotal d’absoudre.

Le vénérable Bède (672-735) dit dans son commentaire sur l’Épître de saint Jacques, v, 15, 16, que si des malades coupables de péchés les confessent aux prêtres, qu’ils s’efforcent de s’en détacher de tout leur cœur et de les réparer, ces péchés leur seront remis ; car, remarque-t-il, les péchés ne peuvent être remis sans la confession de son amendement. Si infirmi in peccatis sint et hœc presbyleris’Ecclesiæ confessi fuerint, ne perfecto corde ea relinquere atque emendare satagerint, dimittentur eis. Neque enim sine confessione emendationis peccala queunt dimitti. Super Divi Jacobi Epistolam, P. L., t. xciii, col. 39. Il ajoute qu’il faut que cette confession soit faite aux prêtres pour tous les péchés graves. Ibid., col. 40.

Le bienheureux Alcuin († 804) écrit aux jeunes gens qui étudiaient à l’école de Saint-Martin de Tours : « Notre juge nous donne le moyen de nous accuser nous-mêmes de nos péchés devant les prêtres de Dieu pour que le démon ne nous accuse pas au tribunal du Christ ; il veut que ces péchés soient pardonnes ici-bas, afin qu’ils ne soient pas châtiés dans la vie future. » Datur nobis a benignissimo judice locus accusandi nosmetipsos in peccatis nostris coram sacerdote Dei, ne iterum accuset nos in eis diabolus coram judice Christo. Vull ut ignoscantur[in hoc sseculo], ne puniantur infuturo. Opusc. vii, De confessione peccatorum ad pueros sancti Martini, P. L., t. ci, col. 652. Il recommande ensuite aux maîtres de cette école d’apprendre à ces jeunes gens à faire aux prêtres du Christ une confession pure de leurs péchés : Docete filios vestros puram facere sacerdotibus Christi confessionem peccatorum suorum. Ibid., col. 656.

Un peu plus tard, dans son commentaire sur l’Écriture, si connu pendant tout le moyen âge, sous le nom de Glose ordinaire, Walafrid Strabon († 849) reproduit textuellement ce que nous venons de lire dans Bède sur les versets 15 et 16 du chapitre v de l’Épître de saint Jacques. P. L., t. exiv, col. 679.

A la même époque, Raban Maur (-j- 856) parle des pécheurs publics, qui doivent faire une pénitence publique et être réconciliés par l’évêque ou par des prêtres qui en ont reçu la charge de l’évêque ; puis il ajoute que les péchés cachés sont confessés au prêtre ou à l’évêque, que les coupables en font une pénitence cachée

suivant la détermination du confesseur et qu’ils sont ordinairement réconciliés le jeudi d’avant Pâques. De clericorum inslitutione, l. II, c. xxx, P. L., t. cvii, col. 343. Commentant les paroles de Jésus à saint Pierre, Matth., xvi, 19 : Quodcumque solveris, il les applique aux évêques et aux prêtres, parce qu’ils ont, de son temps, la charge d’absoudre les péchés : Nec non etiam nunc in episcopis et presbtjteris omnibus Ecclesiæ offi.’cium idem committitur, ut videlicet agnitis peccan~ tium causis, quoscumque humiles ac vere pxiiitentes aspexerit, hos jam a timoré perpétuée mortis miserans absolvat. Comment, in Matth., l. V, ibid., col. 992.

A la fin du IXe siècle, Hincmar († 882), archevêque de Reims, établit par les paroles du Christ, Joa., xx, 23, que le pouvoir de remettre les péchés a été donné aux apôtres. Il rappelle qu’il appartient aux évêques et aux prêtres. Epist., xxvi, od Hildeboldum, P. L., t. cxxvi, col. 174.

Terminons par un témoignage du XIe siècle. Nous le demanderons au bienheureux Lanfranc († 1089). Il a écrit un opuscule, De celanda confessione, P. L., t. CL, col. 625. Il se demande à qui on pourrait se confesser et comment on pourrait obtenir le pardon de ses péchés, si l’on était dans l’impossibilité de recourir à l’absolution des prêtres, parce que ceux-ci violeraient le secret des confessions, ou exigeraient des pénitents la manifestation de leurs complices ou des fautes de tierces personnes. Or, il compare l’efficacité de la confession à celle du baptême. D’ailleurs la question qu’il discute suppose à elle seule que lui et ses contemporains reconnaissaient aux prêtres le pouvoir de remettre les péchés. Il ne s’arrête pas un seul instant à établir ce pouvoir, que tous ses lecteurs admettaient, tandis qu’il cherche à démontrer que, lorsqu’on ne peut se confesser au prêtre, il reste un moyen d’obtenir la rémission de ses fautes dans une humble confession faite à des clercs inférieurs ou à des laïques. Nous reviendrons plus loin, col. 184, sur l’efficacité qu’il attribue à ce moyen.

2° Depuis le xiie siècle. — Au commencement du XIIe siècle, Abélard (1079-1142) contesta que les évêques et les prêtres eussent le pouvoir de remettre véritablement les péchés. Il disait que Dieu seul possède ce pouvoir, qu’il n’avait été communiqué par Jésus-Christ qu’aux seuls apôtres, que si l’on voulait appliquer à leurs successeurs le texte : Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les deux, Matth., xvi, 19, il fallait entendre par les cieux, l’Église de la terre. Capitula hseresum Pétri Abselardi, c. xii, dans les œuvres de saint Bernard, P. L., t. clxxxii, col. 1053. Cette doctrine fut aussitôt traitée d’hérétique. Le concile de Sens de 1140 et, à sa suite, le pape Innocent II la condamnèrent dans la proposition suivante, qui en est le résumé : Quod potestas ligandi atque solvendi apostolis tantum data sit,’ion successoribus. Mansi, Conciliorum collectio, Venise, 1776, t. x, col. 569. Cette décision fut considérée comme l’expression de la foi de l’Église. Ce nous est une preuve que, par la suite, tous les scolastiques réputés orthodoxes se crurent obligés de la respecter. Si quelques-uns soutinrent peut-être des opinions qui menaient logiquement aux conclusions d’Abélard, ils ne s’en aperçurent point. Quelles que fussent les doctrines qu’ils adoptèrent, ils eurent toujours soin de déclarer que le pouvoir d’absoudre les péchés est possédé par les évêques et par les prêtres. Toutes les théories que nous allons leur voir soutenir admettaient d’ailleurs : 1° que Dieu ne pardonne les péchés, qu’autant qu’on les soumet à l’absolution du prêtre ou qu’on est disposé à le faire ; 2° que cette absolution remet au moins quelque chose de la peine temporelle du péché et achève ainsi de faire disparaître les suites des fautes commises. Or, ces deux affirmations suffisaient, aux yeux de plusieurs auteurs de cette époque, pour qu’on pût dire en toute vérité qu’il n’y a de remis au ciel que les seuls péchés que les prêtres