Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’y vis alors venir à moi une colonne de gardes nationaux armés, qui remontaient le même escalier en courant, la baïonnette au bout du fusil. Devant eux étaient deux hommes habillés en bourgeois, qui paraissaient les conduire et qui criaient à tue-tête : « Vive la duchesse d’Orléans et la régence ! » Dans l’un d’eux je reconnus le général Oudinot et dans l’autre Andryane, celui qui a été renfermé au Spielberg et qui a écrit des Mémoires en imitation de ceux de Silvio Pellico ; je n’en vis pas d’autre, et rien ne me montre mieux combien il est difficile que le public sache jamais le vrai sur les événements qui se passent au milieu du tumulte d’une révolution. Je sais qu’il existe une lettre du maréchal Bugeaud, dans laquelle celui-ci raconte qu’il parvint à rassembler quelques compagnies de la dixième légion, les anima en faveur de la duchesse d’Orléans et les conduisit au pas de course, par la cour du Palais Bourbon, jusqu’aux portes de la Chambre qu’il trouva vide. Le récit est vrai, sauf la présence du maréchal, que j’aurais assurément fort remarqué, s’il avait été là ; il ne s’y trouvait, je le répète, que le général Oudinot et M. Andryane. Celui-ci, voyant que je restais immobile et ne disais rien, me prit assez vivement par le bras en s’écriant : « Monsieur, il faut se joindre à nous pour dégager madame la duchesse d’Orléans et sauver la monarchie. — Monsieur, lui ré-