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II

Conversation avec Barrot. Le 24 février suivant sa version.
(10 octobre 1850).

Je crois que M. Molé n’a refusé le ministère qu’après la fusillade du Boulevard. Thiers m’a dit qu’il avait été appelé à une heure du matin, qu’il m’avait demandé au roi comme l’homme nécessaire ; que le roi avait résisté, puis cédé, qu’enfin il avait ajourné à neuf heures du matin notre réunion près de lui.

À cinq heures, Thiers vint chez moi m’éveiller ; nous causâmes ; il retourna chez lui, où je me rendis seulement à huit heures. Je le trouvai faisant tranquillement sa barbe. C’est un grand malheur que le roi et M. Thiers aient ainsi perdu le temps qui s’est écoulé de une heure du matin à huit heures. La barbe faite, nous nous rendons au château ; la population était déjà très émue ; on élevait des barricades et même quelques coups de fusils avaient déjà été tirés des maisons voisines sur les Tuileries. Cependant, nous trouvâmes le roi encore très calme et dans son habitude d’être ordinaire. Il me fit les phrases banales que vous pouvez imaginer. À cette heure-là, Bugeaud était encore général en chef. J’engageai fortement Thiers à ne pas prendre les affaires sous la couleur de ce nom, et à le corriger du moins en donnant le commandement de la garde nationale à Lamoricière, qui était là. Thiers accepta cet arrangement, qui fut agréé par le roi et Bugeaud