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de la terre. Je m’y pris alors d’une autre façon, qui me réussit mieux. Ce fut de conseiller aux gouvernements étrangers, qui n’y étaient du reste que trop disposés, de n’accorder, pendant quelque temps, aucune amnistie à ceux de leurs sujets qui s’étaient réfugiés en Suisse, et de leur refuser à tous, quelle que fût leur culpabilité, la permission de revenir dans leur patrie. De notre côté nous fermâmes nos frontières à tous ceux qui, après s’être réfugiés en Suisse, voulaient traverser la France pour se rendre en Angleterre et en Amérique, à la foule des réfugiés inoffensifs aussi bien qu’aux meneurs. Toutes les issues étant ainsi bien closes, la Suisse resta encombrée de ces dix ou douze mille aventuriers, gens les plus remuants et les moins ordonnés qui fussent en Europe. Il fallut les nourrir, les héberger et même les solder afin qu’ils ne missent pas le pays à contribution. Cela éclaira tout à coup les Suisses sur les inconvénients du droit d’asile. Ils se fussent bien arrangés de conserver indéfiniment parmi eux les chefs illustres malgré le danger que ceux-ci faisaient courir aux voisins, mais l’armée révolutionnaire les incommodait fort. Les cantons les plus radicaux demandèrent les premiers à grands cris qu’on les débarrassât au plus vite de ces hôtes incommodes et coûteux. Et comme il était impossible d’obtenir des gouvernements étrangers d’ouvrir