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leux et de confus dans ses desseins ; il est vrai qu’en lui expliquant l’état vrai des choses, je le faisais facilement convenir des difficultés qu’elles présentaient, car le débat n’était pas son fort. Il se taisait, mais ne se rendait pas. L’une de ses chimères était une alliance contractée avec l’une des deux grandes puissances de l’Allemagne, dont il comptait s’aider pour refaire la carte d’Europe et y effacer les limites que les traités de 1815 avaient tracées à la France. Comme il vit que je ne croyais point qu’on pût trouver ni l’une ni l’autre de ces puissances disposée à faire une telle alliance et à lui donner un semblable objet, il prit le parti de sonder lui-même leurs ambassadeurs à Paris. L’un d’eux vint un jour, tout ému, me dire que le président de la république lui avait demandé si, moyennant quelques équivalents, sa cour ne consentirait pas à ce que la France s’emparât de la Savoie. Une autre fois, il conçut l’idée d’envoyer un agent particulier, un homme à lui, comme il l’appelait, pour s’entendre directement avec les princes d’Allemagne. Il choisit Persigny, en me priant de l’accréditer ; ce que je fis, sachant bien qu’il ne pouvait rien résulter d’une négociation semblable. Je crois que Persigny avait une double mission : il s’agissait de faciliter l’usurpation au dedans et un agrandissement de territoire au dehors. Il se rendit d’abord à Berlin