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à un tel point toutes les forces de l’âme que, si la tâche est un peu plus difficile, l’ouvrier est beaucoup plus fort.

Je m’étais senti perplexe, plein de soucis, de découragement et d’agitations désordonnées, en présence de responsabilités petites. J’éprouvai une tranquillité d’esprit et un calme singulier quand je me vis en face des plus grandes. Le sentiment de l’importance des choses que je faisais alors m’éleva sur-le-champ à leur niveau et m’y retint. L’idée d’un échec m’avait paru jusque-là insupportable ; la perspective d’une chute éclatante sur un des plus grands théâtres du monde où j’étais monté, ne me troublait point, ce qui me fit bien voir que mon faible n’était pas la timidité, mais l’orgueil. Je ne tardai pas non plus à m’apercevoir qu’en politique, comme en beaucoup d’autres matières, en toutes peut-être, la vivacité des impressions reçues n’était pas en raison de l’importance du fait qui la produisait, mais de la répétition plus ou moins fréquente de celui-ci. Tel qui se trouble et s’émeut dans le maniement d’une petite affaire, la seule dont il se soit par hasard chargé, finit par trouver son aplomb au milieu des plus grandes, si celles-là reviennent tous les jours ; leur fréquence en rend l’effet comme insensible. J’ai dit combien je m’étais fait autrefois d’ennemis en me tenant à l’écart de gens qui n’attiraient