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répondit-il, le plus raisonnable n’était-il pas de ne lui rien dire du tout ! » On peut croire qu’on ne sortait guère de chez un pareil homme que de très méchante humeur.

Par malheur, il était doublé d’un chef de cabinet aussi rustre que lui, et de plus, très sot ; de telle sorte que, quand les solliciteurs passaient du cabinet du ministre dans celui du secrétaire, cherchant à se réconforter un peu, ils trouvaient les mêmes aspérités avec l’esprit en moins. C’était tomber d’une haie vive sur un fagot d’épines. Malgré ces désavantages, Dufaure se faisait supporter des conservateurs, mais leurs chefs furent toujours ingagnables.

Ceux-ci, comme je l’avais bien prévu, ne voulaient pas prendre le gouvernement ni laisser personne gouverner avec indépendance. Ils ne pouvaient souffrir aux affaires des ministres qui n’étaient pas leurs créatures et qui refusaient d’être leurs instruments. Je ne crois pas que, depuis le 13 juin jusqu’aux dernières discussions sur Rome, c’est-à-dire pendant la durée presque totale du cabinet, il se soit passé un seul jour où ils ne nous aient tendu des embûches. Ils ne nous combattirent jamais à la tribune, il est vrai ; mais ils animaient sans cesse d’une manière secrète la majorité contre nous, blâmaient nos choix, critiquaient nos mesures, interprétaient défavorablement nos paroles,