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On offrit d’abord à Dufaure d’entrer seul et de se contenter des travaux publics. Il refusa, demanda l’intérieur et deux autres ministères pour ses amis. On accorda avec beaucoup de difficulté l’intérieur, mais on refusa le reste. J’ai lieu de croire qu’il fut sur le point d’accepter cette proposition et de me laisser encore en route comme six mois auparavant, non qu’il fût trompeur ou indifférent dans ses amitiés, mais la vue de ce grand ministère, presque sous sa main et qu’il pouvait honnêtement prendre, avait pour lui des entraînements étranges ; elle ne lui faisait pas précisément abandonner ses amis, mais elle l’en distrayait et les lui faisait volontiers oublier. Il tint bon pourtant cette fois et, ne pouvant l’avoir seul, on offrit de m’admettre avec lui. J’étais le plus indiqué, parce que la nouvelle Assemblée législative venait de me nommer l’un de ses vice-présidents[1]. Mais où me placer ? Je ne me croyais propre qu’à occuper le ministère de l’instruction publique. Malheureusement ce ministère se trouvait alors dans la main de M. de Falloux, homme nécessaire, que ne voulaient laisser partir ni les légitimistes dont il était l’un des chefs, ni le parti religieux qui voyait en lui sa garantie, ni enfin le président dont il s’était fait l’ami. On me pro-

  1. 1er  juin 1849 : trois cent trente-six voix sur cinq cent quatre-vingt-dix-sept votants.