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système du vote universel une confiance presque sans limite, après avoir professé contre lui une défiance sans bornes. Dans l’élection générale qui venait d’avoir lieu, ils s’étaient attendus non seulement à vaincre, mais à anéantir, pour ainsi dire, leurs adversaires, et ils se montraient aussi abattus pour être restés au-dessous du triomphe qu’ils avaient rêvé que si réellement ils avaient été vaincus ; et, d’un autre côté, les Montagnards qui s’étaient crus perdus étaient aussi enivrés de joie et d’une folle audace que si les élections leur eussent assuré la majorité dans la nouvelle Assemblée. Pourquoi l’événement avait-il ainsi trompé tout à la fois les espérances et les craintes des deux partis ? il est difficile de le dire avec certitude, car les grandes masses d’hommes se meuvent en vertu de causes presque aussi inconnues à l’humanité elle-même que celles qui règlent les mouvements de la mer ; des deux parts, les raisons du phénomène se cachent et se perdent, en quelque sorte, au milieu de son immensité.

Il est toutefois permis de croire que les conservateurs durent principalement leur échec aux fautes qu’ils commirent eux-mêmes. Leur intolérance, quand ils se croyaient sûrs du triomphe, à l’égard de ceux qui, sans partager toutes leurs idées, les avaient aidés à combattre les Montagnards ; l’administration violente du nouveau ministre de l’intérieur, M. Faucher, et,