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l’emploi. Le lendemain donc et comme la séance de la commission venait de s’ouvrir, Corbon prit la parole et, avec une simplicité et un laconisme cruels, il fit connaître à Cormenin ce que nous pensions. Celui-ci se troubla, et chercha des yeux tout autour de la table si quelqu’un ne venait pas à son aide. Personne ne bougea. Il dit alors d’un ton mal assuré : « Dois-je conclure de ce qui vient de se passer, que la commission désire que je la quitte ? » Nous ne dîmes mot. Il prit son chapeau et sortit sans que personne le retînt. Jamais plus gros outrage ne fut avalé avec moins d’effort ni de grimace. Je crois que, quoique prodigieusement vaniteux, il n’était pas bien sensible aux injures secrètes, et que, pourvu que son amour-propre fût chatouillé en public, il n’aurait pas fait trop de façons pour recevoir quelques coups de bâton en particulier.

Beaucoup ont cru que Cormenin, depuis que de vicomte il était devenu tout à coup radical, en restant dévot, n’avait cessé de jouer un rôle et de trahir sa pensée ; je n’oserais dire qu’il en fût ainsi, quoique j’aie souvent remarqué d’étranges incohérences entre les choses qu’il disait en causant et celles qu’il écrivait, et qu’à vrai dire il m’ait toujours paru plus sincère dans la peur que lui faisaient les révolutions que dans les opinions qu’il leur avait empruntées. Ce qui m’a