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ticulier des mœurs et des habitudes du pays. C’était de vieux problèmes sans doute, mais que la nouveauté des circonstances rajeunissait.

Cormenin, suivant son usage, ouvrit la discussion en proposant un petit article tout rédigé, d’où il résultait que ce chef du pouvoir exécutif ou ce président, comme il fut nommé dès ce moment-là, serait élu directement par le peuple à la majorité relative, le minimum des suffrages nécessaires étant fixé à deux millions de voix. Je crois que Marrast seul s’y opposa ; il proposa de faire élire le chef du pouvoir exécutif par l’Assemblée ; il était alors enivré de sa fortune, et il se flattait, quelque étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, que ce serait sur lui que le choix de l’Assemblée tomberait. L’article proposé par Cormenin fut néanmoins adopté sans difficultés, autant que je puis m’en souvenir ; il faut avouer, pourtant, que la convenance de faire nommer le président par le peuple n’était pas une vérité évidente de soi, et que la disposition qui le faisait élire directement était aussi nouvelle que dangereuse. Dans un pays sans traditions monarchiques où le pouvoir exécutif a toujours été faible et continue à être fort restreint, il n’y a rien de plus sage que de charger la nation de choisir un représentant. Un président, qui n’aurait pas la force qu’il puise dans cette origine, y serait le jouet