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voir unique, homogène dans toutes ses parties, sans barrière, par conséquent impétueux dans ses démarches et irrésistible ? Tel fut le fond du débat. Cette question générale aurait pu se présenter à propos d’une foule d’autres articles, mais était renfermée mieux que nulle part ailleurs dans la question particulière des deux Chambres.

La lutte fut longue et dura deux séances ; le résultat n’en fut jamais un instant douteux : car l’opinion publique s’était prononcée avec une grande force en faveur de la Chambre unique non seulement à Paris, mais dans presque tous les départements. Barrot parla le premier en faveur des deux Chambres ; il reprit ma thèse et la développa avec beaucoup de talent, mais sans tempérance ; car, à la révolution de Février, son âme avait comme perdu l’équilibre et, depuis, elle n’avait pu reprendre son aplomb. J’appuyai Barrot et revins plusieurs fois à la charge. Je fus un peu surpris d’entendre Dufaure se prononcer contre nous, et le faire assez vivement. Les avocats ne peuvent guère échapper à l’une de ces deux habitudes : ils s’habituent à plaider ce qu’ils ne croient pas, ou à se persuader fort aisément ce qu’ils ont envie de plaider. Dufaure était fait de cette dernière façon. L’entraînement de l’opinion publique, de ses propres passions ou de son intérêt ne l’eût jamais conduit jusqu’à embrasser une cause qu’il