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Lors donc qu’on prétend qu’il n’y a rien parmi nous qui soit à l’abri des révolutions, je dis qu’on se trompe, et que la centralisation s’y trouve. En France, il n’y a guère qu’une seule chose qu’on ne puisse faire : c’est un gouvernement libre, et qu’une seule institution qu’on ne puisse détruire : la centralisation. Comment pourrait-elle périr ? Les ennemis du gouvernement l’aiment et les gouvernants la chérissent. Ceux-ci s’aperçoivent, il est vrai, de temps à autre, qu’elle les expose à des désastres soudains et irrémédiables, mais cela ne les en dégoûte point. Le plaisir qu’elle leur procure de se mêler de tout et de tenir chacun dans leurs mains leur fait supporter ses périls. Ils préfèrent une vie si agréable à une existence mieux assurée et plus longue, et ils disent comme les roués de la régence : « Courte et bonne. »

La question ne put être décidée ce jour-là ; mais on la préjugea en réglant qu’on ne s’occuperait pas d’abord du système communal.

Le lendemain, Lamennais donna sa démission. Dans les circonstances où nous nous trouvions, un tel événement était fâcheux. Il ne pouvait manquer de répandre ou d’enraciner les préjugés qui existaient déjà contre nous. Aussi fit-on des démarches fort pressantes et assez humbles pour faire renoncer Lamennais à sa résolution. Comme j’avais partagé son opinion, on me