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cun de ses membres songeant beaucoup plus à ses affaires privées qu’aux affaires publiques et à ses jouissances qu’à la grandeur de la nation.

La postérité, qui ne voit que les crimes éclatants et à laquelle, d’ordinaire, les vices échappent, ne saura peut-être jamais à quel degré le gouvernement d’alors avait, sur la fin, pris les allures d’une compagnie industrielle, où toutes les opérations se font en vue du bénéfice que les sociétaires en peuvent retirer. Ces vices tenaient aux instincts naturels de la classe dominante, à son absolu pouvoir, au caractère même du temps. Le roi Louis-Philippe avait peut-être contribué à les accroître.

Ce fut un singulier composé que ce prince, et il faudrait l’avoir vu plus longtemps et de plus près que je ne l’ai fait pour pouvoir le peindre en détail.

Quoique je n’aie jamais été dans ses Conseils, j’ai eu cependant assez souvent l’occasion de l’approcher. La dernière fois que je le vis de près, ce fut peu de temps avant la catastrophe de février. J’étais alors directeur de l’Académie française et j’avais à entretenir le roi de je ne sais quelle affaire relative à ce corps ; après avoir traité la question, qui m’avait amené, j’allais me retirer ; le roi me retint, s’assit sur une chaise, me fit asseoir sur une autre et me dit familièrement : « Puisque vous voilà, monsieur de