Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à la tribune sa longue, honnête et triste figure, il dit d’un air dolent : « Citoyens, au nom de la patrie, je vous supplie de voter le plus tôt possible. On nous annonce que dans une heure peut-être l’Hôtel de Ville sera pris. »

Ce peu de mots mit fin aux débats ; le décret fut voté en un tour de main.

Je me levai contre le paragraphe qui mettait Paris en état de siège ; je le fis par instinct plus que par réflexion. J’ai naturellement un tel mépris et une si grande horreur pour la tyrannie militaire que ces sentiments se soulevèrent en tumulte dans mon cœur, quand j’entendis parler de l’état de siège, et dominèrent ceux mêmes que le péril faisait naître. En ceci, je fis une faute qui, fort heureusement, eut assez peu d’imitateurs.

Les amis de la commission exécutive ont dit fort aigrement que ses adversaires et les partisans du général Cavaignac avaient répandu à dessein des bruits sinistres afin de hâter le vote. Si ceux-ci ont, en effet, employé cette supercherie, je le leur pardonne volontiers, car les mesures qu’ils firent ainsi prendre étaient indispensables au salut du pays.

Avant d’adopter le décret dont je viens de parler, l’Assemblée en avait voté par acclamation un autre, qui déclarait que les familles de ceux qui succombe-