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nous sortions tous ensemble de Paris pour aller transporter le siège de la République dans un lieu où nous puissions appeler l’armée et toutes les gardes nationales de France à notre aide ? » Il dit cela d’un ton très animé et avec plus d’émotion peut-être qu’il ne convient d’en montrer dans les grands périls. Je vis que le spectre de Février le poursuivait. Dufaure, qui avait l’imagination moins prompte et qui d’ailleurs ne se résoudrait qu’avec peine à s’associer aux gens qu’il n’aime point, même pour se sauver, Dufaure, dis-je, expliqua avec un flegme un peu moqueur qu’il n’y avait pas encore lieu de s’occuper d’un tel plan ; qu’on pourrait en parler plus tard ; que nos chances ne lui paraissaient pas assez désespérées pour qu’on fût obligé de songer à un moyen si extrême, que c’était s’affaiblir que d’y songer. Assurément, il avait raison : ces mots rompirent la conférence. J’écrivis aussitôt quelques lignes à ma femme pour lui dire que le péril croissait de moment en moment, que Paris finirait peut-être par tomber tout entier au pouvoir de la révolte ; qu’alors, nous serions obligés nous-mêmes d’en sortir pour aller continuer ailleurs la guerre civile. Je lui enjoignis de se rendre à l’instant même à Saint-Germain par le chemin de fer, qui était encore libre, et d’y attendre de mes nouvelles ; je chargeai mes neveux de porter la lettre et je rentrai dans l’Assemblée.