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nationale, l’autre. On fit d’abord défiler, devant nous, tous les différents emblèmes des nations, ce qui prit un temps énorme, à cause de la confusion fraternelle dont avait parlé le programme, puis vint le char et enfin les jeunes filles vêtues de blanc. Il y en avait là au moins trois cents qui portaient leur costume virginal d’une façon si virile qu’on eût pu les prendre pour des garçons habillés en filles. On leur avait mis chacune dans la main un gros bouquet qu’elles nous firent la galanterie de nous jeter en passant. Comme c’étaient des commères qui avaient des bras fort nerveux et qui étaient plus habituées, je pense, à pousser le battoir qu’à répandre des fleurs, ces bouquets tombaient sur nous comme une grêle fort drue et fort incommode.

Une grande jeune fille se détacha de ses compagnes et, s’arrêtant devant Lamartine, récita un hymne à sa gloire ; peu à peu, elle s’anima en parlant de telle sorte qu’elle prit une figure effrayante et se mit à faire des contorsions épouvantables. Jamais l’enthousiasme ne m’avait paru si près de l’épilepsie ; quand elle eut fini, le peuple voulut néanmoins que Lamartine l’embrassât ; elle lui présenta deux grosses joues ruisselantes de sueur qu’il baisa du bout des lèvres et d’assez mauvaise grâce.

La seule partie sérieuse de la fête fut la revue ; je