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semblée qui devait se rendre en corps et à pied au Champ de Mars. J’avais mis des pistolets dans mes poches et, en causant avec mes collègues, je découvris que la plupart d’entre eux étaient comme moi secrètement armés ; celui-ci avait pris une canne à épée, cet autre un poignard, presque tous avaient quelque moyen de se défendre. Edmond La Fayette me montra une arme d’une espèce particulière. C’était une boule de plomb cousue dans une courte lanière de cuir qu’on pouvait facilement s’attacher au bras ; on aurait pu appeler une pareille arme un casse-tête portatif. La Fayette m’assura que ce petit instrument était fort répandu dans l’Assemblée nationale, surtout depuis le 15 mai. C’est ainsi que nous nous rendîmes à cette fête de la Concorde.

Des rumeurs sinistres annonçaient que quelque grand péril attendait l’Assemblée quand elle traverserait au milieu de la multitude le Champ de Mars, et qu’elle irait prendre sa place sur l’estrade qui lui était réservée à l’École militaire. La vérité est que rien n’eût été plus facile que de tenter un coup de main contre elle dans ce long trajet, car elle le fit à pied et sans être, pour ainsi dire, gardée. Sa véritable sauvegarde était dans le souvenir du 15 mai et cela suffisait. Il est bien rare, quelque occasion qui se présente, qu’on affronte un pouvoir le lendemain d’une