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Trélat, révolutionnaire du genre sentimental et rêveur qui avait conspiré en faveur de la République pendant tout le temps de la monarchie, du reste, médecin de mérite qui dirigeait alors un des principaux hôpitaux de fous de Paris, quoiqu’il fût un peu timbré lui-même. Il me prit les mains avec effusion et, les larmes aux yeux : « Ah ! monsieur, me dit-il, quel malheur et qu’il est étrange de penser que ce sont des fous, des fous véritables qui ont amené ceci ! Je les ai tous pratiqués ou traités. Blanqui est un fou, Barbès est un fou, Sobrier est un fou, Huber surtout est un fou, tous fous, monsieur, qui devraient être à ma Salpêtrière et non ici. » Il se serait assurément ajouté lui-même à la liste, s’il se fût aussi bien connu qu’il connaissait ses anciens amis. J’ai toujours pensé que dans les révolutions et surtout dans les révolutions démocratiques, les fous, non pas ceux auxquels on donne ce nom par courtoisie, mais les véritables, ont joué un rôle politique très considérable. Ce qu’il y a de certain, du moins, c’est qu’une demi-folie ne messied pas dans ces temps-là et sert même souvent au succès.

L’Assemblée s’était dispersée, mais on peut bien croire qu’elle ne se jugeait pas dissoute.

Elle ne s’estimait même pas vaincue. La plupart des membres qui quittèrent la salle, le firent avec la ferme volonté de se réunir bientôt ailleurs ; ils le disaient