Page:Alexis de Tocqueville - Souvenirs, Calmann Levy 1893.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus parfait ; et je trouve qu’il mérite, malgré sa petitesse, d’être mis dans tout son jour ; je l’éclairerai donc de la lumière que donnent les faits subséquents, et j’ajouterai que quelques mois après, quand le retour du flot populaire les eût reportés au pouvoir, ils se reprirent aussitôt à poursuivre le même Havin avec une violence et, quelquefois, avec une injustice inouïes. On vit reparaître toute leur ancienne haine au milieu des derniers tressaillements de leur peur, et elle parut s’être encore accrue du souvenir de leurs complaisances.

Cependant l’époque des élections générales approchait, et, chaque jour, l’aspect de l’avenir devenait plus sinistre ; toutes les nouvelles qui arrivaient de Paris nous représentaient cette grande ville comme étant sur le point de tomber sans cesse dans les mains des socialistes armés. On doutait que ceux-ci laissassent faire les électeurs, ou du moins qu’ils se soumissent à l’Assemblée nationale. Déjà, de toutes parts, on faisait jurer aux officiers de la garde nationale de marcher contre l’Assemblée s’il s’élevait un conflit entre celle-ci et le peuple. Les provinces s’alarmaient de plus en plus, mais aussi s’affermissaient à la vue du péril.

Je fus passer à mon pauvre et cher Tocqueville les derniers jours qui précédèrent la lutte électorale ; j’y revenais pour la première fois depuis la révolution ; peut-être allais-je le quitter pour toujours ! Je fus