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satisfaire ; et je prévoyais que, quel que fût le sort réservé à nos neveux, le nôtre désormais était de consumer misérablement notre vie, au milieu de réactions alternatives de licence et d’oppression.

Je me mis à repasser dans mon esprit l’histoire de nos soixante dernières années, et je souris amèrement en remarquant les illusions qu’on s’était faites à la fin de chacune des périodes de cette longue révolution ; les théories dont ces illusions s’étaient nourries ; les rêveries savantes de nos historiens, et tant de systèmes ingénieux et faux, à l’aide desquels on avait tenté d’expliquer un présent que l’on voyait encore mal, et de prévoir un avenir qu’on ne voyait pas du tout.

La monarchie constitutionnelle avait succédé à l’ancien régime ; la république, à la monarchie ; à la république, l’empire ; à l’empire, la restauration ; puis était venue la monarchie de Juillet. Après chacune de ces mutations successives, on avait dit que la révolution française, ayant achevé ce qu’on appelait présomptueusement son œuvre, était finie : on l’avait dit et on l’avait cru. Hélas ! je l’avais espéré moi-même sous la restauration, et encore après que le gouvernement de la restauration fut tombé ; et voici la révolution française qui recommence, car c’est toujours la même. À mesure que nous allons, son terme s’éloigne et s’obscurcit. Arriverons-nous, comme nous l’assurent d’autres