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s’était retiré dans cette espèce de solitude orgueilleuse, où finit presque toujours par vivre l’intelligence des princes longtemps heureux, qui, prenant la fortune pour le génie, ne veulent plus rien écouter, parce qu’ils croient n’avoir plus rien à apprendre de personne. Louis-Philippe d’ailleurs avait été déçu, comme j’ai déjà dit que ses ministres le furent, par cette lueur trompeuse que jette l’histoire des faits antérieurs sur le temps présent. On pourrait faire un tableau singulier de toutes les erreurs qui se sont ainsi engendrées les unes des autres sans se ressembler. C’est Charles Ier poussé à l’arbitraire et à la violence par la vue des progrès qu’avait faits l’esprit d’opposition en Angleterre, sous le règne bénin de son père ; c’est Louis XVI déterminé à tout souffrir parce que Charles Ier avait péri en ne voulant rien endurer ; c’est Charles X provoquant la révolution, parce qu’il avait eu sous les yeux la faiblesse de Louis XVI ; c’était enfin Louis-Philippe le plus perspicace de tous, se figurant que, pour rester sur le trône, il suffisait de fausser la légalité sans la violer, et que, pourvu qu’il tournât lui-même dans le cercle de la Charte, la nation n’en sortirait pas. Détourner l’esprit de la constitution sans en changer la lettre ; opposer les vices du pays les uns aux autres ; noyer doucement la passion révolutionnaire dans l’amour des jouissances matérielles : telle avait été l’idée