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car ces trois hommes avaient dirigé les affaires de la France sous la main du roi Louis-Philippe pendant dix-huit ans, et il leur était difficile d’admettre que le mauvais gouvernement de ce prince eût préparé la catastrophe qui l’a précipité du trône.

Quant à moi qui n’ai point les mêmes motifs de croyance, je ne saurais être tout à fait du même avis. Ce n’est pas que je croie que les accidents n’ont joué aucun rôle dans la révolution de Février ; ils en ont eu au contraire un très grand, mais ils n’ont pas tout fait.

J’ai vécu avec des gens de lettres, qui ont écrit l’histoire sans se mêler aux affaires, et avec des hommes politiques, qui ne se sont jamais occupés qu’à produire les événements sans songer à les décrire. J’ai toujours remarqué que les premiers voyaient partout des causes générales, tandis que les autres, vivant au milieu du décousu des faits journaliers, se figuraient volontiers que tout devait être attribué à des incidents particuliers, et que les petits ressorts, qu’ils faisaient sans cesse jouer dans leurs mains, étaient les mêmes que ceux qui font remuer le monde. Il est à croire que les uns et les autres se trompent.

Je hais, pour ma part, ces systèmes absolus, qui font dépendre tous les événements de l’histoire de grandes causes premières se liant les unes aux autres par une