Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/424

Cette page a été validée par deux contributeurs.

écarter du centre du royaume et les envoyer sur les frontières.

Ce qui frappe le plus en lisant les cahiers de la noblesse, mais ce qu’aucun extrait ne saurait reproduire, c’est à quel point ces nobles sont bien de leur temps : ils en ont l’esprit, ils en emploient-très couramment la langue. Ils parlent des droits inaliénables de l’homme, des principes inhérents au pacte social. Quand il s’agit de l’individu, ils s’occupent d’ordinaire de ces droits, et quand il s’agit de la société, des devoirs de celle-ci. Les principes de la politique leur semblent aussi absolus que ceux de la morale, et les uns et les autres ont pour base commune la raison. Veulent-ils abolir les restes du servage, il s’agit d’effacer jusqu’aux dernières traces de la dégradation de l’espèce humaine. Ils appellent quelquefois Louis XVI un roi citoyen, et parlent à plusieurs reprises du crime de lèse-nation, qui va leur être si souvent imputé. À leurs yeux comme aux yeux de tous les autres, on doit tout se promettre de l’éducation publique, et c’est l’État qui doit la diriger. Les États généraux, dit un cahier, s’occuperont d’inspirer un caractère national par des changements dans l’éducation des enfants. Comme le reste de leurs contemporains, ils montrent un goût vif et continu pour l’uniformité de législation, excepté pourtant dans ce qui touche à l’existence des ordres. Ils veulent l’uniformité administrative, l’uniformité des mesures, etc., autant que le Tiers état ; ils indiquent toutes sortes de réformes, et ils entendent que ces réformes soient radicales. Suivant eux, tous les impôts sans exception doivent être abolis ou transformés ; tout le système de la justice changé, sauf les justices seigneuriales, qui ont seulement besoin d’être perfectionnées. Pour eux comme pour tous les autres Français, la France est un champ d’expériences, une espèce de ferme modèle en politique, où tout doit être retourné, tout essayé, si ce n’est un petit endroit où croissent leurs privilèges particuliers ; encore