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principes qui peuvent rendre une colonie peuplée et prospère, mais, en revanche, employant toutes sortes de petits procédés artificiels et de petites tyrannies réglementaires pour accroître et répandre la population : culture obligatoire, tous les procès naissant de la concession des terres retirés aux tribunaux et remis au jugement de l’administration seule, nécessité de cultiver d’une certaine manière, obligation de se fixer dans certains lieux plutôt que dans d’autres, etc., cela se passe sous Louis XIV  ; ces édits sont contre-signés Colbert. On se croirait déjà en pleine centralisation moderne, et en Algérie. Le Canada est en effet l’image fidèle de ce qu’on a toujours vu là. Des deux côtés on se trouve en présence de cette administration presque aussi nombreuse que la population, prépondérante, agissante, réglementante, contraignante, voulant prévoir tout, se chargeant de tout, toujours plus au courant des intérêts de l’administré qu’il ne l’est lui-même, sans cesse active et stérile.

Aux États-Unis, le système de décentralisation des Anglais s’outre, au contraire : les communes deviennent des municipalités presque indépendantes, des espèces de républiques démocratiques. L’élément républicain, qui forme comme le fond de la constitution et des mœurs anglaises, se montre sans obstacles et se développe. L’administration proprement dite fait peu de choses en Angleterre, et les particuliers font beaucoup ; en Amérique, l’administration ne se mêle plus de rien, pour ainsi dire, et les individus en s’unissant font tout. L’absence des classes supérieures, qui rend l’habitant du Canada encore plus soumis au gouvernement que ne l’était, à la même époque, celui de France, rend celui des provinces anglaises de plus en plus indépendant du pouvoir.

Dans les deux colonies, on aboutit à l’établissement d’une société entièrement démocratique ; mais ici, aussi long-