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en comble une monarchie qui avait supporté pendant tant de siècles de si violents chocs, et qui, la veille de sa chute, paraissait encore inébranlable à ceux mêmes qui allaient la renverser.

La France étant l’un des pays de l’Europe où toute vie politique était depuis le plus longtemps et le plus complètement éteinte, où les particuliers avaient le mieux perdu l’usage des affaires, l’habitude de lire dans les faits, l’expérience des mouvements populaires et presque la notion du peuple, il est facile d’imaginer comment tous les Français ont pu tomber à la fois dans une révolution terrible sans la voir, les plus menacés par elle marchant les premiers et se chargeant d’ouvrir et d’élargir le chemin qui y conduisait.

Comme il n’existait plus d’institutions libres, par conséquent plus de classes politiques, plus de corps politiques vivants, plus de partis organisés et conduits, et qu’en l’absence de toutes ces forces régulières, la direction de l’opinion publique, quand l’opinion publique vint à renaître, échut uniquement à des philosophes, on dut s’attendre à voir la Révolution conduite moins en vue de certains faits particuliers que d’après des principes abstraits et des théories très-générales ; on put augurer qu’au lieu d’attaquer séparément les mauvaises lois, on s’en prendrait à toutes les lois, et qu’on voudrait substituer à l’ancienne constitution de la France un système de gouvernement tout nouveau, que ces écrivains avaient conçu.

L’Église se trouvant naturellement mêlée à toutes les