Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/306

Cette page a été validée par deux contributeurs.

survenir à l’occasion des grains ; ordonne que par eux le procès sera fait et parfait, jugé prévôtalement et en dernier ressort ; interdit Sa Majesté à toutes cours de justice d’en prendre connaissance. » Cet arrêt du conseil fait jurisprudence pendant tout le dix-huitième siècle. On voit par les procès-verbaux de la maréchaussée que, dans ces circonstances, on cernait de nuit les villages suspects, on entrait avant le jour dans les maisons, et on y arrêtait les paysans qui étaient désignés, sans qu’il soit autrement question de mandat. L’homme ainsi arrêté restait souvent longtemps en prison avant de pouvoir parler à son juge ; les édits ordonnaient pourtant que tout accusé fût interrogé dans les vingt-quatre heures. Cette disposition n’était ni moins formelle, ni plus respectée que de nos jours.

C’est ainsi qu’un gouvernement doux et bien assis enseignait chaque jour au peuple le code d’instruction criminelle le mieux approprié aux temps de révolution et le plus commode à la tyrannie. Il en tenait école toujours ouverte. L’ancien régime donna jusqu’au bout aux basses classes cette éducation dangereuse. Il n’y a pas jusqu’à Turgot qui, sur ce point, n’imitât fidèlement ses prédécesseurs. Lorsque, en 1775, sa nouvelle législation sur les grains fit naître des résistances dans le Parlement et des émeutes dans les campagnes, il obtint du roi une ordonnance qui, dessaisissant les tribunaux, livra les mutins à la juridiction prévôtale, « laquelle est principalement destinée, est-il dit, à réprimer les émotions populaires, quand il est utile que des exem-