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mencèrent à se préoccuper du sort du pauvre avant que celui-ci se fît craindre d’elles ; elles s’intéressèrent à lui dans un temps où elles ne croyaient pas encore que de ses maux pût sortir leur ruine. Cela devient surtout visible pendant les dix années qui précèdent 89 : on plaint souvent alors les paysans, on parle d’eux sans cesse ; on recherche par quels procédés on pourrait les soulager ; on met en lumière les principaux abus dont ils souffrent, et l’on censure les lois fiscales qui leur nuisent particulièrement ; mais on est d’ordinaire aussi imprévoyant dans l’expression de cette sympathie nouvelle qu’on l’avait été longtemps dans l’insensibilité.

Lisez les procès-verbaux des assemblées provinciales qui furent réunies dans quelques parties de la France en 1779, et, plus tard, dans tout le royaume, étudiez les autres documents publics qui nous restent d’elles, vous serez touché des bons sentiments qu’on y rencontre, et surpris de la singulière imprudence du langage qu’on y tient.

« On a vu trop souvent, dit l’assemblée provinciale de basse Normandie en 1787, l’argent que le roi consacre aux routes ne servir qu’à l’aisance du riche sans être utile au peuple. On l’a fréquemment employé à rendre plus agréable l’accession d’un château, au lieu de s’en servir pour faciliter l’entrée d’un bourg ou d’un village. » Dans cette même assemblée, l’ordre de la noblesse et celui du clergé, après avoir décrit les vices de la corvée, offrent spontanément de consacrer seuls 50.000 livres à l’amélioration des chemins, afin, disent--