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lieu autrement. En l’année 1776, on essaye de transformer la corvée en une taxe locale ; l’inégalité se transforme aussitôt avec elle et la suit dans le nouvel impôt.

De seigneuriale qu’elle était, la corvée, en devenant royale, s’était étendue peu à peu à tous les travaux publics. Je vois en 1719 la corvée servir à bâtir des casernes ! Les paroisses doivent envoyer leurs meilleurs ouvriers, dit l’ordonnance, et tous les autres travaux doivent céder devant celui-ci. La corvée transporte les forçats dans les bagnes et les mendiants dans les dépôts de charité ; elle charroie les effets militaires toutes les fois que les troupes changent de place : charge fort onéreuse dans un temps où chaque régiment menait à sa suite un lourd bagage ; il fallait rassembler de très-loin un grand nombre de charrettes et de bœufs pour le traîner. Cette sorte de corvée, qui avait peu d’importance dans l’origine, devint l’une des plus pesantes quand les armées permanentes devinrent elles-mêmes nombreuses. Je trouve des entrepreneurs de l’État qui demandent à grands cris qu’on leur livre la corvée pour transporter les bois de construction depuis les forêts jusqu’aux arsenaux maritimes. Ces corvéables recevaient d’ordinaire un salaire, mais toujours arbitrairement fixé et bas. Le poids d’une charge si mal posée devient parfois si lourd, que le receveur des tailles s’en inquiète. « Les frais exigés des paysans pour le rétablissement des chemins, écrit l’un d’eux en 1751, les mettront bientôt hors d’état de payer leur taille. »