Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.

prends plus en Guyenne, mais à cent lieues de là. La Société d’Agriculture du Maine annonce, dans son rapport de 1761, qu’elle avait eu l’idée de distribuer des bestiaux en prix et encouragements. « Elle a été arrêtée, dit-elle, par les suites dangereuses qu’une basse jalousie pourrait attirer contre ceux qui remporteraient ces prix, et qui, à la faveur de la répartition arbitraire des impositions, leur occasionnerait une vexation dans les années suivantes. »

Dans ce système d’impôt, chaque contribuable avait, en effet, un intérêt direct et permanent à épier ses voisins et à dénoncer au collecteur les progrès de leur richesse ; on les y dressait tous, à l’envie, à la délation et à la haine. Ne dirait-on pas que ces choses se passent dans les domaines d’un rajah de l’Hindoustan ?

Il y avait pourtant dans le même temps en France, des pays où l’impôt était levé avec régularité et avec douceur : c’étaient certains pays d’États. Il est vrai qu’on avait laissé à ceux-là le droit de le lever eux-mêmes. En Languedoc, par exemple, la taille n’est établie que sur la propriété foncière, et ne varie point suivant l’aisance du propriétaire  ; elle a pour base fixe et visible un cadastre fait avec soin et renouvelé tous les trente ans, et dans lequel les terres sont divisées en trois classes, suivant leur fertilité. Chaque contribuable sait d’avance exactement ce que représente la part d’impôt qu’il doit payer. S’il ne paye point, lui seul, ou plutôt son champ seul en est responsable. Se croit-il lésé dans la répartition : il a toujours le droit d’exiger que l’on