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corps des trésoriers de France ou des élus, les affaires se discutaient publiquement et se décidaient après plaidoiries. Toutes ces habitudes, toutes ces formes étaient autant de barrières à l’arbitraire du prince.

Le peuple seul, surtout celui des campagnes, se trouvait presque toujours hors d’état de résister à l’oppression autrement que par la violence.

La plupart des moyens de défense que je viens d’indiquer étaient, en effet, hors de sa portée ; pour s’en aider, il fallait avoir dans la société une place d’où l’on pût être vu et une voix en état de se faire entendre. Mais, en dehors du peuple, il n’y avait point d’homme en France qui, s’il en avait le cœur, ne pût chicaner son obéissance et résister encore en pliant.

Le roi parlait à la nation en chef plutôt qu’en maître. « Nous nous faisons gloire, dit Louis XVI, au commencement de son règne, dans le préambule d’un édit, de commander à une nation libre et généreuse. » Un de ses aïeux avait déjà exprimé la même idée dans un plus vieux langage, lorsque, remerciant les États-généraux de la hardiesse de leurs remontrances, il avait dit : « Nous aimons mieux parler à des francs qu’à des serfs. »

Les hommes du dix-huitième siècle ne connaissaient guère cette espèce de passion du bien-être qui est comme la mère de la servitude, passion molle, et pourtant tenace et inaltérable, qui se mêle volontiers et, pour ainsi dire, s’entrelace à plusieurs vertus privées, à l’amour de la famille, à la régularité des mœurs, au respect des