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taxes qui ne frappaient que sur la noblesse, et qui étaient destinées à tenir la place du service militaire gratuit qu’on n’exigeait plus.

Or, de toutes les manières de distinguer les hommes et de marquer les classes, l’inégalité d’impôt est la plus pernicieuse et la plus propre à ajouter l’isolement à l’inégalité, et à rendre en quelque sorte l’un et l’autre incurables. Car, voyez ses effets : quand le bourgeois et le gentilhomme ne sont plus assujettis à payer la même taxe, chaque année l’assiette et la levée de l’impôt tracent à nouveau entre eux, d’un trait net et précis, la limite des classes. Tous les ans, chacun des privilégiés ressent un intérêt actuel et pressant à ne point se laisser confondre avec la masse, et fait un nouvel effort pour se ranger à l’écart.

Comme il n’y a presque pas d’affaires publiques qui ne naissent d’une taxe ou qui n’aboutissent à une taxe, du moment où les deux classes ne sont pas également assujetties à l’impôt, elles n’ont presque plus de raisons pour délibérer jamais ensemble, plus de causes pour ressentir des besoins et des sentiments communs ; on n’a plus affaire de les tenir séparées : on leur a ôté en quelque sorte l’occasion et l’envie d’agir ensemble.

Burke, dans le portrait flatté qu’il trace de l’ancienne constitution de la France, fait valoir, en faveur de l’institution de notre noblesse, la facilité que les bourgeois avaient d’obtenir l’anoblissement en se procurant quelque office : cela lui paraît avoir de l’analogie avec l’a-