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Les gentilshommes eux-mêmes sont quelquefois de grands solliciteurs ; leur condition ne se reconnaît guère alors qu’en ce qu’ils mendient d’un ton fort haut. C’est l’impôt du vingtième qui, pour beaucoup d’entre eux, est le principal anneau de leur dépendance. Leur part dans cet impôt étant fixée chaque année par le conseil sur le rapport de l’intendant, c’est à celui-ci qu’ils s’adressent d’ordinaire pour obtenir des délais et des décharges. J’ai lu une foule de demandes de cette espèce que faisaient des nobles, presque tous titrés et souvent grands seigneurs : vu, disaient-ils, l’insuffisance de leurs revenus ou le mauvais état de leurs affaires. En général, les gentilshommes n’appelaient jamais l’intendant que Monsieur, mais j’ai remarqué que dans ces circonstances, ils l’appellent toujours Monseigneur, comme les bourgeois.

Parfois la misère et l’orgueil se mêlent dans ces placets d’une façon plaisante. L’un d’eux écrit à l’intendant : « Votre cœur sensible ne consentira jamais à ce qu’un père de mon état fût taxé à des vingtièmes stricts, comme le serait un père du commun. »

Dans les temps de disette, si fréquents au dix-huitième siècle, la population de chaque généralité se tourne tout entière vers l’intendant et semble n’attendre que de lui seul sa nourriture. Il est vrai que chacun s’en prend déjà au gouvernement de toutes ses misères. Les plus inévitables sont de son fait ; on lui reproche jusqu’à l’intempérie des saisons.

Ne nous étonnons plus en voyant avec quelle facilité