Page:Alexis de Tocqueville - L'Ancien Régime et la Révolution, Lévy, 1866.djvu/127

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Que ces bizarreries des Anglais pussent avoir quelques rapports avec leurs libertés, c’est ce qui ne lui tombe point dans l’esprit. Il aime mieux expliquer ce phénomène par des raisons plus scientifiques. « Dans un pays où l’humidité du climat et le défaut de ressort dans l’air qui circule, dit-il, impriment au tempérament une teinte sombre, le peuple est disposé à se livrer de préférence aux objets graves. Le peuple anglais est donc porté par sa nature à s’occuper de matières de gouvernement ; le peuple français en est éloigné. »

Le gouvernement ayant pris ainsi la place de la Providence, il est naturel que chacun l’invoque dans ses nécessités particulières. Aussi rencontre-t-on un nombre immense de requêtes qui, se fondant toujours sur l’intérêt public, n’ont trait néanmoins qu’à de petits intérêts privés. Les cartons qui les renferment sont peut-être les seuls endroits où toutes les classes qui composaient la société de l’ancien régime se trouvent mêlées. La lecture en est mélancolique : des paysans demandent qu’on les indemnise de la perte de leurs bestiaux ou de leur maison ; des propriétaires aisés, qu’on les aide à faire valoir plus avantageusement leurs terres ; des industriels sollicitent de l’intendant des privilèges qui les garantissent d’une concurrence incommode. Il est très-fréquent de voir des manufacturiers qui confient à l’intendant le mauvais état de leurs affaires, et le prient d’obtenir du contrôleur-général un secours ou un prêt. Un fonds était ouvert, à ce qu’il semble, pour cet objet.