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quel qu’en soit l’objet, l’importune ; elle ne laisse subsister que celles qu’elle a composées arbitrairement et qu’elle préside. Les grandes compagnies industrielles elles-mêmes lui agréent peu ; en un mot, elle n’entend point que les citoyens s’ingèrent d’une manière quelconque dans l’examen de leurs propres affaires ; elle préfère la stérilité à la concurrence. Mais, comme il faut toujours laisser aux Français la douceur d’un peu de licence, pour les consoler de leur servitude, le gouvernement permet de discuter fort librement toutes sortes de théories générales et abstraites en matière de religion, de philosophie, de morale et même de politique. Il souffre assez volontiers qu’on attaque les principes fondamentaux sur lesquels reposait alors la société, et qu’on discute jusqu’à Dieu même, pourvu qu’on ne glose point sur ses moindres agents. Il se figure que cela ne le regarde pas.

Quoique les journaux du dix-huitième siècle, ou, comme on disait dans ce temps-là, les gazettes, continssent plus de quatrains que de polémique, l’administration voit déjà d’un œil fort jaloux cette petite puissance. Elle est débonnaire pour les livres, mais déjà fort âpre contre les journaux ; ne pouvant les supprimer absolument, elle entreprend de les tourner à son seul usage. Je trouve, à la date de 1761, une circulaire adressée à tous les intendants du royaume, où l’on annonce que le roi (c’était Louis XV) a décidé que désormais la Gazette de France serait composée sous les yeux mêmes du gouvernement : « Voulant Sa Majesté, dit la