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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

chaque année les solitudes de l’ouest appartiennent, ainsi que je l’ai dit dans mon premier ouvrage, à l’ancienne race anglo-américaine du nord. Plusieurs de ces hommes qui courent avec tant d’audace vers la richesse jouissaient déjà de l’aisance dans leur pays. Ils mènent avec eux leurs compagnes, et font partager à celles-ci les périls et les misères sans nombre qui signalent toujours le commencement de pareilles entreprises. J’ai souvent rencontré jusque sur les limites du désert de jeunes femmes qui, après avoir été élevées au milieu de toutes les délicatesses des grandes villes de la Nouvelle-Angleterre, étaient passées presque sans transition de la riche demeure de leurs parents dans une hutte mal fermée au sein d’un bois. La fièvre, la solitude, l’ennui, n’avaient point brisé les ressorts de leur courage. Leurs traits semblaient altérés et flétris, mais leurs regards étaient fermes. Elles paraissaient tout à la fois tristes et résolues.

Je ne doute point que ces jeunes Américaines n’eussent amassé, dans leur éducation première, cette force intérieure dont elles faisaient alors usage.

C’est donc encore la jeune fille qui, aux États-Unis, se retrouve sous les traits de l’épouse ; le rôle a changé, les habitudes diffèrent, l’esprit est le même.