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SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

au milieu de la foule pour le plier isolément aux lois communes, il n’est pas besoin de semblable intermédiaire ; le père n’est aux yeux de la loi qu’un citoyen, plus âgé et plus riche que ses fils.

Lorsque la plupart des conditions sont très-inégales, et que l’inégalité des conditions est permanente, l’idée du supérieur grandit dans l’imagination des hommes ; la loi ne lui accordât-elle pas de prérogatives, la coutume et l’opinion lui en concèdent. Lorsqu’au contraire, les hommes diffèrent peu les uns des autres et ne restent pas toujours dissemblables, la notion générale du supérieur devient plus faible et moins claire ; en vain, la volonté du législateur s’efforce-t-elle de placer celui qui obéit fort au-dessous de celui qui commande, les mœurs rapprochent ces deux hommes l’un de l’autre, et les attirent chaque jour vers le même niveau.

Si donc je ne vois point, dans la législation d’un peuple aristocratique, de privilèges particuliers accordés au chef de la famille, je ne laisserai pas d’être assuré que son pouvoir y est fort respecté et plus étendu que dans le sein d’une démocratie ; car je sais que, quelles que soient les lois, le supérieur paraîtra toujours plus haut et l’inférieur plus bas dans les aristocraties que chez les peuples démocratiques.

Quand les hommes vivent dans le souvenir de