Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
SUR LES MOEURS PROPREMENT DITES.

considérer l’usage comme un droit incontestable.

On ne remarque donc dans le premier aucune de ces passions haineuses et désordonnées qui agitent les hommes longtemps encore après qu’ils se sont soustraits à un pouvoir établi. Le second n’éprouve point ces regrets pleins d’amertume et de colère, qui survivent d’ordinaire à la puissance déchue : le père a aperçu de loin les bornes où devait venir expirer son autorité ; et quand le temps l’a approché de ces limites, il abdique sans peine. Le fils a prévu d’avance l’époque précise où sa propre volonté deviendrait sa règle ; et il s’empare de la liberté sans précipitation et sans efforts, comme d’un bien qui lui est dû, et qu’on ne cherche point à lui ravir[1].

Il n’est peut-être pas inutile de faire voir comment ces changements qui ont lieu dans la famille, sont étroitement liés à la révolution sociale et

  1. Les Américains n’ont point encore imaginé cependant, comme nous l’avons fait en France, d’enlever aux pères l’un des principaux éléments de la puissance, en leur ôtant leur liberté de disposer après la mort de leurs biens. Aux États-Unis, la faculté de tester est illimitée.

    En cela, comme dans presque tout le reste, il est facile de remarquer que, si la législation politique des Américains est beaucoup plus démocratique que la nôtre, nôtre législation civile est infiniment plus démocratique que la leur. Cela se conçoit sans peine.

    Notre législation civile a eu pour auteur un homme qui voyait son intérêt à satisfaire les passions démocratiques de ses contemporains dans tout ce qui n’était pas directement et immédiatement hostile à son pouvoir. Il