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APPENDICE.

sent. Il tire sa force de la même source où elle puise la sienne. Il n’a pas seulement le nom du pouvoir exécutif, il en exerce les prérogatives naturelles et légitimes. Il est le commandant de la force armée, dont il nomme les principaux officiers ; il choisit plusieurs des grands fonctionnaires de l'État ; il exerce le droit de grâce, le véto qu’il peut opposer aux volontés de la législature, sans être absolu et pourtant efficace. Si le gouverneur de l’État de New-York est beaucoup moins puissant sans doute qu’un roi constitutionnel d’Europe, il l’est du moins infiniment plus qu’un petit conseil de la Suisse.

Mais c’est surtout dans l’organisation du pouvoir judiciaire que la différence éclate.

Le juge, quoiqu’il émane du peuple et dépende de lui, est une puissance à laquelle se soumet le peuple lui-même.

Le pouvoir judiciaire y tient cette position exceptionnelle de son origine, de sa permanence, de sa compétence, et surtout des mœurs publiques et de l’opinion.

Les membres des tribunaux supérieurs ne sont pas choisis, comme en Suisse, par la législature, puissance collective qui, souvent, est passionnée, quelquefois aveugle, et toujours irresponsable, mais par le gouverneur de l’État. Le magistrat une fois institué est considéré comme inamovible. Aucun procès ne lui échappe, aucune peine ne saurait être prononcée que par lui. Non-seulement il interprète la loi, on peut dire qu’il la juge ; quand la législature, dans le mouvement rapide des partis, s’écarte de l’esprit ou de la lettre de la constitution, les tribunaux l’y ramènent en refusant d’appliquer ses décisions ; de sorte que si le juge ne peut obliger le peuple à garder sa constitution, il le force du moins à la respecter tant qu’elle existe. Il ne le dirige point, mais il le contraint et le limite.