Page:Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, Pagnerre, 1848, tome 4.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
366
APPENDICE.

celle des droits. L’industrie y trouvait mille entraves : la liberté individuelle n’y avait aucune garantie légale. La liberté religieuse, qui commençait pénétrer jusqu’au sein des États les plus orthodoxes, n’avait pu encore se faire jour en Suisse. Les cultes dissidents étaient entièrement prohibés dans plusieurs cantons, gênés dans tous. La différence des croyances y créait presque partout des incapacités politiques.

La Suisse était encore en cet état en 1798, lorsque la révolution française pénétra à main armée sur son territoire. Elle y renversa pour un moment les vieilles institutions, mais elle ne mit rien de solide et de stable à la place. Napoléon qui, quelques années après, tira les Suisses de l’anarchie par l’acte de médiation, leur donna bien l’égalité, mais non la liberté, les lois politiques qu’il imposa étaient combinées de manière à ce que la vie publique était paralysée. Le pouvoir, exercé au nom du peuple, mais placé très-loin de lui, était remis tout entier dans les mains de la puissance exécutive.

Quand, peu d’années après, l’acte de médiation tomba avec son auteur, les Suisses n’y gagneront point la liberté ; ils y perdirent seulement l’égalité. Partout les anciennes aristocraties reprirent les rênes du gouvernement, et remirent en vigueur les principes exclusifs et surannés qui avaient régné avant la révolution. Les choses revinrent alors, dit avec raison M. Cherbuliez, à peu près au point où elles étaient en 1798. On a accusé à tort les rois coalisés d’avoir imposé, par la force, cette restauration à la Suisse. Elle fut faite d’accord avec eux, mais non par eux. La vérité est que les Suisses furent entraînés alors, comme les autres peuples du continent, par cette réaction passagère, mais universelle, qui raviva tout à coup dans toute