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NOTES.

délicats paraissent amoindris, ses traits sont fatigués, son œil est doux et grave ; on voit répandu sur toute sa physionomie une résignation religieuse, une paix profonde des passions, et je ne sais quelle fermeté naturelle et tranquille qui affronte tous les maux de la vie sans les craindre ni les braver.

Ses enfants se pressent autour d’elle, ils sont pleins de santé, de turbulence et d’énergie ; ce sont de vrais fils du désert ; leur mère jette de temps en temps sur eux des regards pleins de mélancolie et de joie ; à voir leur force et sa faiblesse, on dirait qu’elle s’est épuisée en leur donnant la vie, et qu’elle ne regrette pas ce qu’ils lui ont coûté.

La maison habitée par les émigrants n’a point de séparation intérieure ni de grenier. Dans l’unique appartement qu’elle contient, la famille entière vient le soir chercher un asile. Cette demeure forme, à elle seule, comme un petit monde ; c’est l’arche de la civilisation perdue au milieu d’un océan de feuillage. Cent pas plus loin, l’éternelle forêt étend autour d’elle son ombre, et la solitude recommence.