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INFLUENCE DES IDÉES DÉMOCRATIQUES

que faible qu’on le suppose, peut toujours forcer le juge d’écouter sa plainte et d’y répondre : cela tient à la constitution même du pouvoir judiciaire.

Un semblable pouvoir est donc spécialement applicable aux besoins de la liberté, dans un temps où l’œil et la main du souverain s’introduisent sans cesse parmi les plus minces détails des actions humaines, et où les particuliers, trop faibles pour se protéger eux-mêmes, sont trop isolés pour pouvoir compter sur le secours de leurs pareils. La force des tribunaux a été, de tout temps, la plus grande garantie qui se puisse offrir à l’indépendance individuelle, mais cela est surtout vrai dans les siècles démocratiques ; les droits et les intérêts particuliers y sont toujours en péril, si le pouvoir judiciaire ne grandit et ne s’étend à mesure que les conditions s’égalisent.

L’égalité suggère aux hommes plusieurs penchants fort dangereux pour la liberté, et sur lesquels le législateur doit toujours avoir l’œil ouvert. Je ne rappellerai que les principaux.

Les hommes qui vivent dans les siècles démocratiques ne comprennent pas aisément l’utilité des formes ; ils ressentent un dédain instinctif pour elles. J’en ai dit ailleurs les raisons. Les formes excitent leur mépris et souvent leur haine. Comme ils n’aspirent d’ordinaire qu’à des jouis-